Congé mater quand on est médecin libérale – mode d’emploi du 44

Il n’y a pas si longtemps, quand on était installée en libéral, en cas de grossesse, on pouvait se brosser pour le congé mat. Y’a eu un début de commencement en 1995, puis un peu de progrès en 2006… Et depuis fin octobre 2017, l’ASM avantage supplémentaire maternité permet aux médecins installées  de ne pas perdre trop d’argent pendant leur arrêt.

Et c’est chouette, vraiment.

Il y a un côté injuste : l’ASM n’est versé qu’aux installées et pas aux remplaçantes. Les médecins ont négocié ça mais c’est pas pour autant que ça s’applique aux autres professionnelles de santé libérales…

Mais surtout, ce qui est dingue, c’est que contrairement aux salariées qui dans l’ensemble n’ont pas de démarches à faire pour être payées, pour nous, c’est

Le parcours de la combattante administrative!!!

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Du coup, comme j’en ai un peu bavé pour réussir à avoir les infos, je me dis que ça peut servir aux copines… Y’a des infos sur les sites des syndicats, mais même comme ça c’est pas simple!

Prérequis 1 : se renseigner sur nos droits. Parce que dans l’ensemble, si tu réclames rien, tu n’as rien.
Donc si on est installée on doit pouvoir toucher
– l’allocation forfaitaire de repos maternel. Une partie au 7e mois de grossesse, une partie après la naissance
– les indemnités journalières si on s’arrête au moins 2 semaines avant le terme et 8 semaines après. (Pour rappel, congé mat = 6 semaines avant, 10 semaines après).
– l’ASM Avantage Supplémentaire Maternité, pour les installées seulement, qui dépend du nombre de journées travaillées par semaine, et est versée pendant 3 mois si on s’arrête de travailler en même temps.
– et si nécessaire, on a droit à un congé pathologique de grossesse.

Prérequis 2 : réaliser qu’évidemment, selon les départements, ça va pas être les mêmes démarches / les mêmes documents. Sinon ça serait trop simple, hein.
J’ai commencé à téléphoner / écrire à ma CPAM pour demander des infos et des documents il y a 2 mois, et je viens juste de finir de dépatouiller le truc… (ce qui ne veut pas dire que j’ai touché mes sous, hein!). Du coup ce que je mets en dessous, c’est ce qui s’est passé pour moi, donc en Loire-Atlantique. Je crains que vous n’ayez besoin de repasser des coups de fil pour les autres départements, en attendant qu’un jour peut être, tout ça soit automatisé… Et tout dépend de la plate forme téléphonique des professionnels de santé, au 3646 ils gèrent pas du tout ça.

1- Allocation forfaitaire et IJ

Théoriquement, une fois qu’on a envoyé la déclaration de grossesse, on est censé recevoir de la CPAM un document explicatif avec des justificatifs à renvoyer. Document qu’on ne trouve nulle part sur le site, n’est pas téléchargeable… Moi j’ai fini par le recevoir après avoir appelé 2 ou 3 fois la plate-forme pour les professionnels de santé. Ça ressemble à ça. Document téléchargeable ->  FORMULAIRE PAM (mais c’est la version début 2019 du 44, ça peut changer, méfiance!!)

 

 

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3 étapes et un truc en plus.
– Au 7e mois de grossesse, renvoyer le volet 1 de demande d’allocation forfaitaire
– Au début du congé mat, renvoyer la déclaration sur l’honneur de cessation d’activité, avec… un certificat médical d’interruption d’activité.
(oui, c’est DEBILE, je vois pas comment le médecin qui suit la grossesse peut certifier d’un truc comme ça, moi j’ai eu un certif  « ses dates de congé mater sont les suivantes » et c’est passé).
– Après la naissance, renvoyer le volet 2 de demande d’allocation forfaitaire avec copie de l’acte de naissance.
– ATTENTION TRUC EN PLUS : c’est pas marqué sur le mode d’emploi de la page 1, et personne ne me l’a réclamé, mais quand j’ai appelé parce que j’avais pas de nouvelles, on m’a dit qu’il fallait aussi envoyer une attestation de vigilance de l’urssaf (le truc qui dit que nos cotisations sont à jour, on peut le télécharger sur notre espace urssaf en ligne). Tant que la CPAM ne l’a pas, elle ne lance pas les paiements. A envoyer en même temps que la première demande.

2- Avantage Supplémentaire Maternité

Là, c’est plus compliqué.
Rapport au fait que même si ça fait 18 mois que c’est en place, la plupart des gens à qui on en parle à la CPAM (en tout cas à la plate forme téléphonique) ne voient pas du tout de quoi il s’agit. Je vous passe les étapes, mais en tout cas par chez moi, il faut donc spontanément envoyer un mail au service relations des professionnels de santé de la caisse (moi c’était srps.cpam-loireatlantique@assurance-maladie.fr ), pour faire la demande d’ASM, en précisant qu’on est installée, et secteur 1 ou 2 (c’est pas les mêmes montants).
J’ai dû envoyer une attestation sur l’honneur mentionnant le nombre de demi-journées exercées sur une semaine ainsi que d’une attestation mentionnant la période pendant laquelle je cesse toute activité. (il y a des départements où il faut remplir un CERFA, par exemple dans les Bouches du Rhône il en faut un, mais pas chez moi). Et j’ai finalement eu un mail me confirmant que ma demande était prise en compte, et que j’allais donc toucher 3 versements mensuels.

(alors ATTENTION bis: les mails de la CPAM (du 44 en tout cas) vers des adresses mail yahoo ne passent pas, ou atterrissent dans les spams, du coup y’a intérêt à surveiller).

3- La cerise sur le gâteau – forfait structure et remplacement de longue durée

Normalement on n’a pas le droit de laisser notre CPS aux remplaçant.e.s, la CPS c’est personnel, les remplaçant.e.s doivent utiliser la leur.

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C’est pas moi qui le dit c’est la CPAM!

J’avoue, comme (à la louche) 97% des généralistes, je le faisais quand même parce que c’est tellement plus simple comme ça…
SAUF QUE attention, en cas d’utilisation pendant le congé mat, certaines caisses ne veulent pas verser les IJ du congé mat parce que « votre CPS a été utilisée donc vous n’étiez pas au repos ».

Du coup, comme une bonne élève, j’ai passé un temps certain à paramétrer mon logiciel pour que ma remplaçante puisse utiliser sa CPS à elle. Elle peut donc passer les cartes vitales des patients sans problème. Par contre, pas de possibilité d’utiliser les « téléservices de l’assurance maladie » , pour télétransmettre les arrêts de travail, protocoles de soin, accidents du travail / maladie pro…

Alors déjà c’est chiant parce que pour les patients ça augmente les délais de traitement administratif des demandes. C’est chiant aussi parce que ma caisse est devenue assez radine sur les envois de CERFA papier (en gros on peut commander les formulaires que par petite quantité, vu qu’on est censé les faire en ligne!). Voire pour certains, ils ne sont plus dispo QUE sur l’espace pro (que donc les remplaçant.e.s ne peuvent pas utiliser).

Mais en plus, avec les histoires de paiement forfaitaire, il faut atteindre un certain pourcentage d’utilisation des téléservices pour toucher des sous du forfait structure. Là, en tout, je m’arrête 5 mois. Donc sur 2019, je ne pourrai utiliser les téléservices que 7 mois sur les 12. Ça va pas être simple pour atteindre les objectifs. Mais la CPAM était incapable de répondre à ma simple demande de « comment cela sera-t-il pris en compte pour le calcul de mon forfait structure? ». Quand j’ai fini par avoir quelqu’un au téléphone du service ROSP / relations conventionnelles, on a eu un dialogue… intéressant.
Moi : Voilà, ma remplaçante va bosser 5 mois avec sa CPS, du coup pas de téléservices blablabla
CPAM : ah oui… mais le plus simple ça serait de lui laisser votre CPS
Moi : sauf que je connais des femmes qui ont eu des soucis pour se faire régler leurs IJ. Donc envoyez moi un document écrit pour me confirmer ces consignes, histoire d’être sûre de ne pas être embêtée.
CPAM : ah non ça, ça n’est pas possible, c’est pas réglementaire… Mais il y a une tolérance là dessus chez nous, donc pas de problème, ne vous inquiétez pas
Moi : …

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Bon, au total, j’ai pas pris de risque, j’ai râlé, dit qu’il était hors de question que je fasse comme ça, et en gros, faudra que j’envoie un mail au service ROSP à la fin de mon arrêt de travail pour confirmer les dates où j’étais absente, et il faudra surtout que l’année prochaine au moment du forfait structure, je fasse appel de la décision pour prendre ça en compte.

 

Conclusions

  • en 2019, la CPAM ne sait toujours pas gérer les congés mater des praticiennes et auxiliaires médicales. Rien n’est simple, et la plupart des interlocuteurs ne connaissent pas l’ASM, et ma déléguée de l’assurance maladie était sur le cul que les remplaçants avec leur CPS ne puissent pas utiliser les téléservices.
  • le salariat ça a quand même du bon…
  • les procédures sont différentes selon les départements et la CPAM dont on dépend.
  • faut réclamer.
  • un jour peut-être la CPAM saura faire le tri entre l’activité d’un médecin installé.e ou de ses remplaçant.e.s… histoire d’avoir des paiements forfaitaires plus justes. Mais HOULALA c’est pas prévu tout de suite. (rappelons que déjà ils arrivent pas à envoyer un mail vers une adresse yahoo et m’ont demandé de leur fournir une autre adresse mail…)
  • Et même une fois passées toutes ces étapes, faut aussi surveiller qu’on est payée, parce que c’est pas gagné pour autant (spéciale dédicace à @docblouze et @BulleDoc, qui en ont bien bavé aussi!)

A saluer , l’implication des syndicats sur ces affaires de congé mat
– la FMF, avec la réactivité habituelle de l’irremplaçable Richard Talbot (qui est une mine d’informations sur le plan administratif / relations avec les caisses etc)
MG France, qui s’est beaucoup battu pour l’amélioration du congé mat

 

Sur ce, c’est l’heure de la sieste! (parce que quand même le congé mat c’est censé servir à ça et pas à passer des heures à parlementer avec la sécu!)

Non à l’abattage en médecine générale

Début 2019. Le gouvernement et la sécu veulent que les médecins généralistes s’organisent pour voir 6 patients par heure.

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Médecin courant d’un patient à l’autre, hop hop hop #Rentabilité

Je ne sais même pas par où commencer…

Peut être par quelques principes de base? Ok, rappels de base.
1/ Les médecins ont pour rôle de soigner. Soigner les malades,  prévenir l’apparition des maladies, être attentifs à la santé publique. Mais faire du soin, dans tous les cas.
Nous ne sommes pas là pour répondre à une demande de consommateurs ou pour avoir 5 étoiles à un questionnaire de satisfaction.
2/ La démographie médicale est en berne. Dans les 10 ans qui viennent, le nombre de médecins va continuer de diminuer. Nous ne sommes pas assez nombreux, et non, ce n’est pas qu’une histoire de « répartition sur le territoire », et non, il n’y a pas de « zone sur dotée ». Et oui, c’est la faute de décisions politiques successives, depuis 30 ans, qui ont diminué le nombre de médecins formés, ont détricoté plein d’aspects de la médecine générale… Mais ça certains l’expliquent beaucoup mieux que moi (ici, et ici aussi). Dans ma commune, pourtant en pleine croissance, comme dans plein d’endroits, plus aucun médecin généraliste ne peut prendre en charge de nouveau patient. Parce que nos plannings débordent déjà, que les délais de rendez-vous hors urgence sont déjà à plus de 10 ou 15 jours. Et qu’il vaut mieux un médecin qui ne peut plus prendre de nouveaux patients plutôt qu’un médecin en arrêt de travail pour burn-out, qui ne peut plus voir aucun patient du tout.

Bien sûr, c’est problématique pour la population et pour les patients, on en est bien conscients. Et comme tous ces gens sont des électeurs, les gouvernements aussi en sont bien conscients. Sauf que les propositions actuelles de #MaSanté2022, elles me donnent plutôt envie de changer de métier.

L’idée du moment? Les « assistants médicaux ». Alors attention, rien à voir avec le système suisse, par exemple. Non, là, l’idée, c’est d’avoir quelqu’un, formé un an (donc rien à voir avec la formation d’une infirmière par exemple), qui gère des « tâches administrativo-médicales » mal définies pour libérer du temps médical. Ce qui permet du coup aux médecins généralistes de passer de 3 à 6 consultations par heure, d’après la CNAM qui a débuté les négociations avec les syndicats comme ça.

6 patients par heure. 10 minutes par patient.

NON MAIS ÇA VA PAS BIEN LA TÊTE???

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Non. Non, non, non, pas d’accord.

 

En tant que médecin, je suis incapable de faire des consultations de 10 minutes. Discuter, comprendre, écouter, examiner, expliquer, ça prend largement plus de 10 minutes. Et en tant que patiente, ça me choque profondément.

C’est pour ça que j’ai signé la pétition Non à l’abattage en médecine générale.

Parce que non seulement ça vient rappeler l’évidence : on ne veut pas faire 6 consultations par heure. Ce n’est bon ni pour les médecins, ni pour les patients, ni pour la santé publique.
Mais en plus des idées pour permettre une meilleure prise en charge des patients, en libérant du temps médical, et pour pas cher, on en a plein!!

Quelques illustrations…

– Suppression de l’obligation d’un certificat médical d’arrêt de travail pour les arrêts inférieurs à 2 ou 3 jours. Pour rappel, la plupart des salarié.e.s ne sont de toute façon pas rémunérés pour ces arrêts courts. Ça ne coûte rien à la sécu.
Objection classique : Oh la la mais il va y avoir des abus.
Alors d’abord, la majorité des patients n’en veut pas, d’arrêt, parce que financièrement ils ne peuvent pas se le permettre et/ou ils ne veulent pas mettre les collègues dans la panade. En ce moment je galère pour les arrêter pour des gastros ou des virus contagieux (je parle même pas de souffrance au travail ou de troubles musculosquelettiques, vu que là c’est bien plus que 2 ou 3 jours).
Et surtout, la personne qui vient me voir en me disant « J’ai vomi toute la nuit, là ça va mieux mais je n’ai pas pu aller travailler ce matin », je vais pas demander des échantillons de vomi pour avoir des preuves! Intérêt de la consultation médicale : zéro. Mais une place de moins sur mon planning. En ce moment c’est au moins 2 ou 3 par jour.

– Suppression de l’obligation d’un certificat médical pour l’absence de parents qui gardent leur enfant un jour ou deux, et interdiction des demandes de certificats médicaux pour la cantine/garderie/crèche etc. en cas d’absence d’un enfant, etc.,
Alors ça c’est particulièrement beau, parce que pour les absences scolaires, c’est DEJA dans la loi. Un certificat médical n’est exigible qu’en cas de maladie appartenant à une liste spécifique (et non, gastro grippe et autres virus ne sont pas dedans). Mais la plupart des collèges/lycées continuent de les réclamer. Et en primaire, quand c’est pas l’école, c’est la CANTINE! On a donc des parents qui savent que leur enfant n’a besoin que de repos et de paracétamol, mais qui prennent rendez-vous pour avoir un papier pour leur employeur, et un pour ne pas payer la cantine. On a donc un remboursement par la collectivité de 21 euros (la part sécu de la consultation enfant à 30€) pour que la mairie ne facture par les quelques euros de cantine du midi.
Intérêt de la consultation médicale : zéro. Encore des places en moins sur le planning. (et NON, on n’a pas le droit de faire un certificat sans voir un patient, ce serait un faux, et là pour le coup on peut avoir des problèmes).

Interdiction de la demande de certificats médicaux de non contre-indication par tous les organismes (salle de sport, club de pétanque, cours de yoga, organisateurs de courses à pied, etc.) qui le plus souvent en exigent un par an si possible datant de moins de trois mois.
Là encore, si au moins la loi était respectée… Récemment on est passé à « un certificat tous les 3 ans sous réserve d’autoquestionnaire » pour la plupart des licences de sport.
Sauf que ça ne concerne pas la salle de sport, ou le club de gym, ou l’éveil corporel du petit de 4 ans. Qui eux demandent souvent un certificat annuel! Encore une fois, on ne peut pas faire de certificat sans voir les gens, mais intérêt médical d’une consultation pour « un certif pour jouer aux échecs » : zéro! Et en septembre par exemple, c’est parfois pas loin de la moitié des consultations de la journée.

– Interdiction de tous les certificats d’absence scolaire, universitaire, grandes écoles et certificat pour les assurances, etc.,
Oui, dans l’ensemble, la plupart des certificats, on s’en passerait bien. Voir point 1 : on est là pour SOIGNER LES GENS, en fait!!

– Campagnes de communication et d’information régulières pour informer sur les critères permettant d’éviter une consultation pour les pathologies bénignes courantes (rhumes, gastros, etc.)
Vous vous souvenez de la campagne « les antibiotiques, c’est pas automatique! »?
Pourquoi on ne privilégie pas davantage l’information aux patients? Pourquoi on voit encore partout à la télé des pubs pour les médicaments contre le rhume alors qu’un rhume ça passe tout seul en se mouchant et en patientant une semaine?

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Kit de survie contre le rhume. (oui, le truc à droite est bizarre, mais ça fonctionne vraiment)

Pourquoi la fièvre fait si peur alors qu’elle est le signe qu’on se défend?
Pourquoi on voit encore partout des articles en mode « on peut mourir » parce que « je n’ai pas pu avoir un rendez-vous médical le jour même alors que j’avais de la fièvre, c’est honteux!! »  (ben euh… c’est pas vraiment une urgence, en fait!)
On le fait dans nos cabinets, à notre petite échelle. Mais une vraie politique d’éducation à la santé, de « quand consulter » ou « quand faire le 15 », ça manque cruellement!

– Accès direct avec prise en charge pour des actes paramédicaux : kinésithérapeutes DE, IDE, podologues, orthophonistes, etc.
Nous avons la chance d’avoir un maillage de collègues paramédicaux qui sont formés, compétents… Et on se retrouve avec des « il me faudrait une ordonnance de bilan logicomathématique, c’est l’orthophoniste qu’on voit pour la lecture qui me l’a demandée ». Ben évidemment je vais la faire, c’est sa compétence de savoir si c’est nécessaire! Mais pourquoi il y a besoin d’un papier avec ma signature?
La délégation de taches, le travail en équipe, OUI! mais avec des professionnels formés! les infirmiers libéraux sont non seulement sous payés mais leurs compétences sont tellement mal exploitées… Cette histoire d’assistants médicaux, c’est leur mettre une claque en pleine figure.

Et c’est tellement, tellement rageant.

Notre système de santé mérite mieux que ça. Nos patients méritent mieux que ça.

Alors si vous aussi vous trouvez que 10 minutes par patient, ce n’est pas possible, n’hésitez pas à ajouter votre signature, et à relayer la pétition.

Non à l’abattage en médecine générale. 100 médecins généralistes lancent l’alerte.

QRcode pétition

Résolution 2019

En cette fin 2018, je peux dire deux choses.

J’aime toujours mon boulot.

Mais je ne suis pas sûre de pouvoir continuer à le faire.

Je l’aime toujours parce que la MG me passionne. Que c’est compliqué mais tellement stimulant, que c’est génial de suivre les patient.e.s sur des années, de les voir aller mieux… ou pas, mais d’être là pour les accompagner quoi qu’il arrive. Que c’est un privilège d’être là pour entendre le patient suivi depuis plusieurs semaines pour syndrome dépressif arriver en disant, avec un timide sourire « je crois qu’il y a des étincelles de mieux ». Bref, je vais pas vous refaire le billet de la dernière fois.

Mais je ne suis pas sûre de pouvoir continuer à le faire.
Parce que même si je travaille « à temps partiel » (on peut pas mettre les guillemets en gras??) (non parce que « temps partiel », ça veut dire 3 jours par semaine pleins, un samedi matin sur 2, plus quelques gardes ou astreintes, plus le temps de formation continue, de compta et d’administratif, sans même parler du temps où j’étais chargée d’enseignement à la fac, donc largement 35 heures par semaine), même si je travaille à temps partiel, donc, je suis fatiguée.

tiana

J’habite à une demi-heure de route de mon travail. C’est un choix, mais ça veut dire qu’en partant à 7h50 de chez moi le matin, j’arrive à 8h20. Le temps de lancer les logiciels, de regarder les bios de la veille et les courriers, j’ai pas le temps de m’ennuyer avant le début des consultations à 8h40.
Pour le moment j’ai un planning avec consultations de 20 minutes. Consignes de doubler pour les visites de petits nourrissons avec vaccins, première consultation de grossesse, et puis j’en double moi même certaines pour des patient.e.s compliqué.e.s ou certains motifs. Fin de matinée à 13h si je suis pas en retard (LOL), reprise à 14h20. Dernier créneau 19h. Donc en basique 13 créneaux le matin, 14 l’aprem (j’ai une pause dans l’apres midi pour rattraper le retard), mais généralement il y a au moins 1 ou 2 consultations « doublées » dans la journée, donc je tourne autour de 25 patients vus par jour (et j’ai une patientèle très jeune, quasi la moitié de pédiatrie, donc quasi jamais de visites). Sur ces créneaux, selon les saisons, 9 à 12 créneaux « du jour », c’est à dire qu’ils ne peuvent pas être pris à l’avance, et que les secrétaires ont des consignes sur les motifs qui justifient de donner ces créneaux là. J’ai récemment passé mon dernier créneau « hors urgence » de 19h à 18h20.
Sur le papier franchement, je me dis que c’est une belle organisation.

En pratique… en pratique, je suis à facile 10 ou 15 jours de délai pour les RDV non urgents. Généralement le planning est blindé à 10h du matin (oui, je sais, on a des petits soucis de régulation par la secrétaire), et je me retrouve à rajouter des gens à 19h20, parfois 19h40.

Mais là où ça devient terrible, c’est le soir, une fois le dernier patient parti. Même si je finis à l’heure (j’essaye hein, mais faut reconnaître que c’est rare que je n’aie pas au moins 20 minutes de retard en fin de journée), genre si je finis la consultation à 19h20, je suis pas chez moi avant 20h30. Facile. En hiver, souvent, je finis plutôt vers 20h au cab, pas à la maison avant 21H.

Parce qu’après la fin des consults, je gère les courriers que j’ai pas eu le temps de faire dans la journée, courriers à lire ou courriers à faire. Je refais les (en moyenne) 2 ou 3 ordonnances « perdues » par les patients. A chaque fois ça implique d’ouvrir le dossier, de vérifier que c’est effectivement la bonne ordonnance, l’imprimer, la signer. C’est pas très long, mais c’est tous les jours. Il y a aussi les demandes d’ordonnances ou de courriers plus ou moins justifiés « veut une ordonnance de tel médicament » « a RDV dans 2 jours pour une IRM , n’a pas d’ordonnance ». Alors que je le fasse ou pas (souvent c’est « ou pas »), j’appelle ou je justifie le non auprès de la secrétaire. Je rappelle les patients qui ont laissé des messages. Parfois j’ai essayé de les joindre dans la journée, mais « ils travaillent » alors ils n’ont pas répondu. Souvent ça nécessite une consultation,en fait … mais j’ai beau l’expliquer aux secrétaires, j’ai toujours des messages disant juste « Monsieur Z demande que vous le rappeliez. » (avec des fois des précisions genre « le rappeler après 19h30 ») . Et puis c’est juste au moment de la sidération stuporeuse, alors l’efficacité n’est pas la même.

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Moi devant mon ordi à 20h40 au boulot alors que je devrais être partie depuis longtemps

Tout ça pour dire que depuis novembre, je suis rentrée chez moi une seule fois avant 20h30. La moyenne, c’est plutôt 21H. Vendredi dernier, journée chargée, j’étais en vacances la semaine d’après, je voulais essayer de laisser les choses « propres » pour mon remplaçant, je suis arrivée chez moi à 22H.
J’avais faim, un peu. Et j’étais fatiguée, donc.

Tout ça pour dire que j’en ai marre. Marre de finir aussi tard, et d’entendre quand même plusieurs fois par jour « on n’arrive jamais à avoir RDV avec vous » et autres trucs du genre. Marre de partir du principe que non, je ne peux rien prévoir le soir les jours de boulot parce que je serai en retard. Et crevée. Marre de me dire que la vie de famille, la vie tout court, doit être mise entre parenthèses ces jours là.

Alors j’en ai parlé sur twitter. Et j’ai eu plein de réponses.
Plein de réponses d’autres MG qui sont dans les mêmes problématiques… à la fois sur la gestion du planning et sur ce temps post consultation du soir, qui nous fait revenir si tard à la surface.

Mais aussi plein de réponses de collègues qui arrivent à faire autrement. Qui ont fixé un cadre différent. Dernier créneau hors urgence avant 18H. Dernier créneau urgent 18h30. Ou des créneaux plus tard, mais moins de retard, et départ direct après les consultations. Organisation entre médecins d’un même cabinet pour assurer chacun un ou deux jours par semaine une réponse téléphonique jusqu’à 20h, mais ça ne veut pas dire consulter jusqu’à 20h. Et finalement : les patients font avec. Ou vont voir ailleurs… Mais vu la démographie médicale actuelle, c’est pas trop un problème. Pareil pour la gestion des messages : si c’est urgent ça se gère en journée. Sinon ça attendra la journée de consultation suivante. Même si c’est 3 jours plus tard.
A souligner, le rôle majeur d’un secrétariat efficace, et d’une conscience des limites de nos capacités et responsabilités.

Et oui, bien sûr, je comprends que pour les patients ce soit compliqué. Qu’ils bossent loin, qu’ils ont leur travail, et leurs enfants à récupérer, et que c’est pas facile pour eux de se libérer avant 18h. Mais je ne peux plus continuer comme ça.

Donc *roulement de tambour* : résolutions!

Je veux continuer d’aimer mon boulot, ce qui implique de réorganiser mon temps de travail. Pour l’instant j’ai prévu ça :

1) Recadrage des consignes aux secrétaires : je ne fais pas de consultation par téléphone, pas d’ordonnances sans voir les gens, c’est pas la peine de me faire passer les messages de ce genre. Ils prennent RDV et puis c’est tout. (recadrage de moi-même aussi, par la même occasion : de redire ça aux secrétaires ça va m’obliger à être cohérente).

2) J’ai rajouté une pause dans l’après midi pour gérer les bios / papiers etc. Et si les patients répondent pas avant 19h, et ben ça attendra quelques jours. (sauf évidemment le truc vraiment urgent mais finalement c’est très rare).

En gros une fois les consultations finies, je veux pouvoir me contenter de vérifier le total des règlements en CB, les chèques, faire la télétransmission, et je rentre chez moi! Je ferai ma demi heure de sidération stuporeuse dans la voiture. Si je prévois la musique adéquate, ça devrait le faire.

3) Plus difficile… Arriver à lâcher la culpabilité sous jacente à tout ça. Culpabilité de ne jamais en faire assez, de ne pas pouvoir répondre aux demandes des patients, de les mettre dans la panade parce qu’ils ne peuvent pas se libérer… Culpabilité de refuser de voir le patient qui se pointe avec 15 minutes de retard sur le premier RDV de l’après-midi (parce que si je le vois après je suis à la bourre pour tout le reste de la journée). Culpabilité de répondre, encore et encore, aux nouveaux arrivants sur la commune, que non, je ne peux plus prendre de nouveaux patients, et oui, je sais que c’est compliqué.
Comme disait @docisa33 « on serait là jusqu’à minuit, il faudrait un RDV à minuit 15 ». On ne peut pas tout gérer.

Je fais de mon mieux. Je ne sais pas et ne veux pas travailler « plus vite ».  J’adore mon travail, mais c’est mon travail, pas toute ma vie, et si je veux continuer à le faire du mieux que je peux, j’ai besoin de garder un équilibre entre les deux.

Si vous avez d’autres pistes, je suis preneuse!
Et je viendrai vous raconter si ça marche…

 

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Totoro il est HYPER FORT pour tenir en équilibre sur sa toute petite toupie. #Inspiration #JeSuisTotoro

(Ah et aussi : les mecs, faut arrêter de proposer tout et n’importe quoi pour l’avenir de la MG. ON N’EST PAS ASSEZ NOMBREUX. Il va falloir revoir les critères de consultation. Genre les consultations juste pour papier enfant malade, pour arrêt de travail de 1 jour parce que « j’ai vomi toute la nuit », pour le papier pour la crèche ou pour la cantine, pour le certif de sport du club de danse du petit ou pour les échecs. C’est plus possible, là! L’éducation à la santé a son rôle à jouer dans tout ça. Vraiment.)

Edit de début mars :

Ça fait deux mois que j’ai pris mes « bonnes résolutions »
J’ai rajouté des créneaux d’urgence pour la période épidémique.  J’ai une pause le matin et j’ai rallongé la pause de l’après-midi, j’ai enlevé un créneau le soir.  Ça me fait 3 créneaux de moins par jour, et ça rallonge un peu les délais pour les RDV non urgents, mais pour moi ça change tout. Je regarde les bios plus tôt dans la journée, donc sauf exception elles sont toutes déjà vues et gérées avant la fin de la journée. Finalement, malgré mes appréhensions, les patients s’adaptent aux horaires proposés… en tout cas ils ne râlent pas plus qu’avant ^^.

J’ai revu les consignes avec les secrétaires. Elles régulent un peu mieux les demandes. Je suis encore beaucoup coincée par les « besoin d’un certif enfant malade » ou « arrêt de travail pour la journée, il a la gastro », mais ça, il faudrait un changement plus large que juste chez moi pour que ça change…

Surtout, j’ai changé ma façon de voir, un petit peu… Certains de mes collègues choisissent de travailler plus tard que moi. C’est leur droit, mais ça ne veut pas dire que je suis obligée de faire pareil. Quand je reçois des demandes non justifiées des patients en dehors des consultations, je ne passe plus 10 minutes au téléphone à débrouiller l’histoire ou à expliquer pourquoi je ne peux pas le faire. J’ignore, ou je gagne du temps avec un simple « non » aux secrétaires, qui relaient ensuite.

Et oui, je rentre plus tôt chez moi. Généralement maintenant plutôt autour de 20H. Parfois plus tard, parfois aussi plus tôt (genre la boulangerie est encore ouverte sur le chemin!). Et avec des journées plus « fluides ». Moins de retard, et quand j’ai fini je m’en vais, et finalement moins de sidération stuporeuse de fin de journée parce que moins eu l’impression de courir toute la journée. Alors oui, 3 consultations de moins par jour, c’est aussi des sous en moins. Mais ça va mieux…

Bref, pour celles et ceux qui se questionnent : yes you can!

We_Can_Do_It

Contraception mineure anonyme

Mon challenge d’octobre, c’est de paramétrer mon logiciel de télétransmission pour faire facilement les cotations des consultations contraception pour les mineures de 15 à 18 ans qui demandent l’anonymat.

Pour celles dont les parents sont au courant, on peut continuer de faire comme d’habitude. Et en tiers payant intégral pour la fameuse « première consultation contraception mineure à  46€ », sous le code CCP, à partir de novembre 2017.

Pour celles qui demande l’anonymat, normalement c’est simple, la démarche est décrite ici . En pratique ça se complique un peu, vu que le numéro de sécu anonyme à utiliser change selon le lieu où on exerce… Et donc le numéro de caisse.

 

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La recette est la suivante

NIR anonyme à utiliser = 2 55 55 55 CCC 042/XX

CCC = numéro de la caisse de rattachement du professionnel de santé. Pour Nantes par exemple c’est 441. Ailleurs, ben… ça dépend de quelle caisse vous dépendez. Généralement, le professionnel de santé le sait. En cas de doute la listes est ici : Liste des caisses gestionnaires du régime obligatoire. Téléchargeable là, ORGANISME OBLIGATOIRE, sinon.

XX = clé de contrôle. C’est du pur truc administratif, et pour le trouver il faut aller par là. Vous tapez le 2 55 55 55 + votre numéro de caisse + 042 et ça vous donne le XX.

Et TADAAAAA!!! Vous avez obtenu le NIR anonyme à utiliser pour les consultations de contraception des mineures qui ne souhaitent pas que leurs parents soient au courant.

Par exemple pour la caisse de Nantes : 2 55 55 55 441 042 12

Y’a plus qu’à paramétrer votre logiciel de prescription…
Pour ça, déjà plein d’infos par ici et aussi par là.

Les grands principes :

  • Soit feuille de soins papier, soit FSE en mode dégradé (vu que par principe on n’utilise pas la carte vitale de la patiente).
  • code EXO 3 pour être intégralement payé par la CPAM : cocher « soins particuliers exonérés » dans les réglages de l’acte, donc tiers payant AMO intégral (sur FSP indiquer « n’a pas réglé la part obligatoire ET n’a pas réglé la part complémentaire).
  • indiquer la date de naissance de la patiente et le fameux NIR anonyme

 

Je teste ça et je complète l’article!

Merci beaucoup à @hipparkhos, @10Lunes, @NiSniF et @RichardTalbot !

(et un jour peut être il y aura un numéro UNIQUE national, diffusé partout, ou au moins un moyen simple de trouver le fameux NIR anonyme… parce que même en appelant ma CPAM ils n’ont pas su me dire!)

Volontariat obligatoire

Hier soir, c’était le planning de garde.
Alors à 20h45, une fois la journée de consultations terminée, les papiers faits, les coups de fils passés, j’ai rangé mes petites affaires, et je suis partie, dans la joie et la bonne humeur (presque) retrouver les collègues du secteur à 20 bornes de là. C’est l’occasion de rentrer chez moi après minuit, et ça c’est pas glop. Mais c’est  aussi l’occasion de voir les collègues, et ça c’est plus glop.  Mais on ne les voit pas tous. Hier soir, par exemple, sur les 54 médecins du secteur, on était moins de 25. Et y’en a 18 qu’on a jamais vu.e.s.

Pourtant, on a de la chance.
On a une chouette MMG (maison médicale de garde). Dans des locaux propres, bien équipés. Les patients appellent le 15 avant de venir, les régulateurs régulent, nous envoient seulement les patients qui le nécessitent. Nos gardes se terminent à minuit. Le samedi et les dimanches et fériés, il y a en plus un médecin d’astreinte, jusqu’à 20h, pour faire les visites incontournables, là encore régulées par le centre 15. Et sur le secteur, on est 54 médecins. Donc en théorie, c’est moins d’une garde par mois. Tranquille.

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Mais ça, c’est la théorie.

En pratique… En pratique, hier soir, une vingtaine de médecins présents, d’autres qui avaient donné quelques dates possibles, et quelques remplaçants.

Faut dire que les astreintes, c’est chiant. Le secteur est grand, on fait des bornes, surtout quand on n’habite pas dans le secteur. Ça m’est arrivé plusieurs fois de dépasser les 200km sur une astreinte. Et comme on compte les kilomètres depuis la MMG et pas depuis notre domicile, c’est pas « rentable » (j’habite à plus de 40km). Pour une journée bloquée, qu’on passe dans la voiture et pas en famille, ni au bord de la mer ou au ciné, c’est dans les 200 ou 300 euros max (et faut déduire les charges perso, là dessus, évidemment).
Alors personne n’aime les astreintes. On est une quinzaine à en prendre, et certain.e.s en font vraiment souvent.

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Et puis les gardes… Pour certaines, c’est la foire d’empoigne.  Un samedi de midi à minuit, en hiver, c’est facilement 25 patients, à presque 50 euros la consultation. Ça fait une sacrée journée, mais clairement, les recettes de la journée motivent. Et attirent les remplaçants.  Bizarrement, pour certains soirs de semaine, ou pour le 24 décembre, c’est beaucoup plus difficile.
Hier soir,  quand on est arrivé au 24 décembre, ça a duré 10 minutes. Dix longues minutes de silences embarrassés, de « non moi je peux pas », de « j’ai déjà fait le réveillon l’an dernier ». Forcément, celles et ceux qui étaient là avaient à peu près tous déjà fait des Noëls ou des réveillons des années précédentes. Toujours les mêmes têtes. De moins en moins nombreuses.

J’ai eu de la chance. Quelqu’un a craqué avant moi. Je ne serai pas de garde cette année à Noël. Mais je trouve très injuste que ça se soit joué entre celles et ceux qui avaient fait l’effort de venir.

L’organisation de la permanence des soins est particulière. C’est une obligation déontologique. Mais la participation au tableau de garde (dans notre secteur en tout cas, et légalement je crois) est basée sur le volontariat. On ne peut pas forcer les médecins à prendre des gardes. Sauf cas exceptionnels et réquisition. Mais il faut compléter le tableau de garde. Déontologiquement parlant, on ne peut pas laisser de dates sans personne. Alors les volontaires bouchent les trous, même sur des dates qui ne les arrangent pas. Pendant que d’autres restent tranquilles chez eux, ou ont juste donné une liste de quelques dates qu’ils.elles veulent bien prendre.

C’est un peu démotivant. Surtout quand parfois, dans mon entourage, on me dit que je suis trop bête de le faire si je suis pas obligée.

Je sais qu’on est privilégiés, maitenant. Que le système de gardes « à l’ancienne » était bien plus contraignant. Que c’est important pour nos patients, et important pour nos collègues régulateurs, qui galèrent bien assez comme ça.
Mais je sais aussi que j’ai mes limites. Que tout ça est un équilibre bien précaire, à cheval sur ce concept bancal de volontariat obligatoire.

Et que l’injustice du système « qui sera la plus bonne poire » me pèse toujours autant.

Les dessous des sous

« Les médecins, ces nantis qui roulent en Porsche » versus « On est mal payés, on n’a pas de sous ». Je ne me reconnais dans aucun des deux clichés…

Généraliste nanti faisant ses comptes en fin de journée dans l'imaginaire collectif.

Généraliste nanti faisant ses comptes en fin de journée dans l’imaginaire collectif.

On n’est pas du tout MAL payés, faut pas exagérer. Mais On n’est pas (tous) des nantis non plus. Et les histoires de revenus des médecins, c’est pas si simple que ça. D’abord parce que pour le moment c’est (malheureusement) compliqué (voire impossible selon les régions) de faire de la médecine générale autrement qu’en libéral.
Et libéral, ça veut dire pas de salaire. 
Donc les « revenus » des médecins généralistes, c’est pas ce qu’ils mettent sur leur compte. C’est ce qui leur reste une fois enlevées toutes les charges, et y’a comme une différence entre les deux.

Le montant initial (recettes) et ce qui reste à la fin (bénéfice) dépendent beaucoup de la façon de travailler du médecin. Plages de consultation, nombre de patients par jour, degré de bonne-poiritude, activités complémentaires…
Mais aussi des conditions de travail. Loyer (je tire mon chapeau aux parisiens, qui sont bien handicapés sur ce coup-là), secrétariat, femme de ménage, charges diverses.

J’essaye d’en parler avec mes externes, parce que même si on ne fait pas médecine pour ça, c’est quand même important de pouvoir se projeter. Et que perso, je n’ai jamais compris cette drôle de manie française de pouvoir discuter de sa toux et de ses crachats, ou de son opération d’ongle incarné partout avec n’importe qui, mais par contre « houlala faut pas parler de combien on gagne, c’est pas poli! ».
Alors comme docteurmilie et docteurgécé cette année, comme Borée il y a quelques années, et comme zigmundoph régulièrement pour les ophtalmos, voilà ma balance à moi.

Les recettes :

Situons le contexte : je travaille les lundi, mercredi, vendredi, et un samedi matin sur deux au cabinet médical. Des bonnes journées, arrivée 8h15, départ 20h quand c’est la fête, 21h trop souvent, parfois après (mais je me soigne). En moyenne dans les 25 patients par jour. Je prends à peu près 7 ou 8 semaines de congés (pas payés, par définition!) par an.
Je suis d’astreinte le samedi ou le dimanche, en moyenne une quinzaine de jours sur l’année, plus environ 4-5 gardes par an à la maison médicale de garde.
En dehors de ça j’interviens un peu au Réseau Asthme BPCO pour de l’éducation thérapeutique. 
Et je suis maître de stage et intermittente du spectacle chargée d’enseignement à la fac.
Ah, et je ne touche pas la ROSP parce que j’ai refusé de la percevoir.

Pour 2014
Honoraires (donc les consultations et les gardes) + 2400€ d’indemnités de maîtrise de stage : 104704.  Dont 8400 € que j’ai rétrocédés à mes remplaçants, en fait.
Gains divers (tout le reste) : 6220
Et comme je suis installée et que j’ai 2 collaboratrices, il faut y ajouter ce que je touche comme redevance de collaboration de leur part (en gros, leur participation aux frais du cab) : pour 2014 : 18000€

Soit en tout, dans les 121000€ de recettes.

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Youhou!!
Mais en fait c’est PAS DU TOUT ce qui reste à la fin!

Les dépenses:

Bon alors j’annonce : j’ai BEAUCOUP de charges. A chaque fois que j’en parle ça fait peur. MAIS c’est aussi (en bonne partie) lié à des conditions de travail confortables…
En pratique, je suis locataire, mais j’ai un très grand bureau (un bureau de 15m2 + une salle de consultation de 12m2). Surtout, au cabinet médical, pour 4 médecins à travailler chacune 3,5j/sem, on a 2 secrétaires ET une entreprise pour le ménage ET un secrétariat téléphonique pour les jours où les secrétaires ne sont pas là. Donc je ne réponds JAMAIS directement au téléphone #LeLuxe.

Je ne vais pas tout détailler (parce que c’est très chiant), mais en gros ça donne ça :

Charges du cabinet : en tout (loyer + salaires et charges sur salaires + charges diverses, allant de l’électricité aux essuie mains en passant par les gars qui viennent tondre la pelouse ou le rachat d’ordinateurs qu’on nous a volés) : 51402€.  #Aïe.
(bon, alors c’est pas que mes charges pour moi toute seule, du coup, c’est mes charges pour moi + la moitié de chacune de mes collaboratrices… oui au cab on est 2 associées et 2 collaboratrices. Mais même, hein, ça fait beaucoup, je sais.)

Après, y’a les charges personnelles.
La CARMF (retraite) – 10000€ (à qui je dis adieu, parce que je ne les reverrai probablement JAMAIS)
L’URSSAF (allocs familiales (pas beaucoup parce que conventionnée), CSG et CRDS)- 4400€
La prévoyance, les trucs à payer pour espérer toucher un tout petit peu de sous si je tombe malade ou quand je serai vieille et que je ne toucherai rien de la CARMF : dans les 3500€
Et après y’a tout le reste du bazar : la comptable, l’AGA, les primes d’assurance de ceci cela, les frais de véhicule (et en astreinte je roule beaucoup), les cotisations à différents syndicats et organisations professionnelles (SMG, CGELAV, SNEMG…)…

Tout ça fait qu’en tout, mes dépenses sur 2014, ma comptable me dit que c’est 75889€.

Du coup, à la fin, il me reste 45000€, grosso modo.

Alors après y’a des trucs comptables que je pige pas, les déductions diverses, mais en tout cas là pour 2014, le chiffre de revenus 2014 que ma comptable me dit de mettre sur ma déclaration d’impôts, c’est  39 687€.
Ah si, faut ajouter mon salaire d’intermittente du spectacle à la fac, dans les 1600€ par an (mais c’est du salaire donc pas dans la 2035) pour un nombre d’heures réelles que je me refuse à compter parce que ça me déprimerait.

Donc voilà, on arrive à un peu plus de 41 000 par an. Donc si on divise , environ 3440 par mois (avant impôt sur le revenu évidemment). Ce qui n’a plus rien à voir avec les 121000€ du début, donc…

Bibidibabidibou!  (alias

Bibidibabidibou!
(alias « ben mince, j’avais plus de sous que ça tout à l’heure! »)

Alors vraiment, je ne me plains pas. C’est  très confortable, comme revenus, hein. Mais ça correspond à facile 40h de consultations par semaine + gardes et astreintes + toutes les heures invisibles (formation, compta, gestion du cabinet médical, heures passées à essayer de joindre des confrères fantômes sur mes jours de repos) + les heures à la fac + les heures à penser aux patients et aux responsabilités que je suis pas toujours certaines d’assumer comme il faut.
Donc ça ne me semble pas non plus délirant.

Vous pouvez aller voir ce que ça donne chez docteurmilie, qui bosse en collaboration libérale en Seine Saint Denis, ou chez docteurgécé, remplaçante. Vous verrez que ça peut être très différent d’un contexte à l’autre. L’important, c’est d’y trouver son compte, et surtout, de savoir dans quoi on s’engage avant de signer.

Je suis censée faire quoi, là?

J’ai la chance d’exercer le métier que j’ai choisi. Dans des conditions très favorables.
On est en 2015, on a plein de moyens pour soigner nos patients, plein de médicaments (y’en a même plein de nouveaux qui sortent tous les mois).
Sans contrainte financière, parce que j’exerce en France, et que c’est pas comme aux Etats-Unis, chez nous on ne demande pas leur carte bancaire aux gens avant de voir si on peut les soigner.

J’ai beaucoup d’admiration et de respect pour celles et ceux qui n’ont pas cette chance. Pour les vétérinaires, qui doivent gérer tant et tant de choses avec des contraintes financières qui jouent un rôle parfois majeur dans l’équation. Pour les soignants dans des pays moins favorisés, où les médicaments ne sont pas forcément disponibles. Voire où l’électricité et l’eau courante ne sont pas forcément disponibles, d’ailleurs…

Mais de plus en plus, depuis 8 ans que j’exerce en médecine générale, je me retrouve coincée. Je sais ce que j’ai à faire, je devrais pouvoir le faire, mais en fait non.

Certaines vaccinations ont une balance bénéfice-risque démontrée et solide chez les nourrissons. C’est mon travail de proposer ces vaccinations aux parents, de discuter avec eux des vaccins obligatoires, recommandés, utiles ou pas. Sauf qu’en ce moment, c’est le festival des ruptures de stock. Plus de vaccin pentavalent disponible. Et même les ROR disparaissent petit à petit de certaines pharmacies, et les hexavalents commencent à manquer. Et d’après les infos disponibles, pas de perspective de retour à la normale avant plusieurs mois.
Je suis censée faire quoi, là? Forcer les parents à faire des vaccins qu’ils ne souhaitent pas parce que ce sont les seuls qui restent? Ne pas vacciner les nourrissons, et croiser les doigts très fort pour qu’ils ne choppent pas la coqueluche? Et quand il faudra faire les papiers pour leur entrée à la crèche et qu’ils ne seront pas vaccinés, je ferai quoi?

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Le manque de moyens chronique de l’hôpital, les départs non remplacés, font que les temps de traitement des courriers explosent. Certains se perdent, ou arrivent 3 à 6 mois après la bataille. Souvent, ça se passe bien, on s’est renseigné entre temps, après tout on commence à avoir l’habitude… Parfois il y a des couacs, comme ce « au fait, oui, faudra bien l’opérer de son coeur » qui n’a jamais été envoyé.
Et le manque de moyens ne concerne pas que le personnel de secrétariat. Chez les soignants c’est pareil. Tout le monde est sur les nerfs, tout le monde est débordé. Ça fait 6 jours que j’essaye d’avoir au téléphone un confrère pour organiser la prise en charge d’un patient. Je n’arrive à joindre personne. « Il vous rappelera », qu’on me dit, mais j’attends toujours.
Je vais finir par devoir organiser les choses autrement. Moins bien. De façon moins adaptée pour mon patient. Juste parce que personne ne m’aura rappelée. (et accessoirement, comme une débile, j’aurai passé ma journée de repos à attendre qu’on me rappelle parce que j’ai promis à mon patient de le tenir au courant).

Les délais pour les examens complémentaires de base ou les avis de spécialistes s’allongent de plus en plus. Actuellement chez moi, pour avoir une échographie, il faut compter 15 jours. Même en appelant moi-même (ce qui me prend un temps fou). Et le cabinet le plus proche ferme en fin d’année, sans repreneur. Alors je me retrouve à envoyer aux urgences des patients que j’aurais pu prendre en charge autrement. A laisser mes patients en arrêt de travail, parce qu’ils ont besoin d’une infiltration et que le premier rendez-vous disponible c’est dans deux mois. A faire du moins bon travail, qui coûte plus cher à la société.

On est en 2015, on a plein de moyens pour soigner nos patients. Plein de technologies innovantes. Mais personne pour interpréter les examens. Plein de nouveaux médicaments inutiles qui sortent, mais des ruptures de stock en pagaille pour des valeurs sûres indispensables.

Alors bien sûr, je me dis que malgré tout, j’ai de la chance. Que pour l’instant, que mes patients soient très aisés ou sans un rond, on va pouvoir soigner leur cancer avec les mêmes médicaments. Que je n’en suis pas encore à devoir aller ramasser des plantes le matin pour compenser les médicaments que je n’ai pas. Qu’il faut relativiser un peu, qu’on est très loin des conditions de soins disponibles dans la majorité du monde. Que je tombe dans le « c’était mieux avant » qui n’est pas très constructif.

Je ne sais pas si vraiment, c’était mieux avant.
Mais je sais que ce qui vient, ça me file un peu la trouille.

 

PS: oui, je sais, je radote complètement. Cigare fleur porte, citron clé ballon, je suis pas encore démente, mais la situation est tellement désespérante que soit je radote, soit je vide mes comptes épargne et je me casse loin.

Tous les chemins mènent à la foufounologie

J’ai un sens de l’orientation tout pourri. Par exemple, ça fait 16 ans que je fréquente ma fac, et je suis toujours incapable de trouver les bonnes salles du premier coup.
Les directions, les carrefours, c’est pas mon truc.

Mais il y a un domaine dans lequel, quel que soit le chemin que l’on choisit, on arrive à destination sans problème. Et ça, c’est quand même génial.

Ce domaine, c’est la santé des femmes.

Bon, si vous êtes une femme et que vous avez une fracture de l’orteil, ça compte pas.

Je parle ici de femmes qui vont bien, et qui ont simplement besoin d’une contraception, ou sont enceintes, ou ont été enceintes, ou ont plus de 25 ans et ont un frottis de dépistage à faire tous les trois ans…
Pour ces femmes là, tous les chemins mènent au même résultat.

Sage-femme, gynécologue, généraliste : vous avez le choix.

La seule différence, c’est le paysage sur le chemin. Et ça, c’est à votre préférence. Encore faut-il savoir que ces trois chemins existent, et qu’ils mènent au même endroit.

Alors sur une idée de DocteurGécé, et avec l’aide de 10lunes, la talentueuse Gélule a été embauchée pour mettre ça en image. Une femme, et des panneaux indicateurs, qui pour une fois, indiquent le chemin et pas la destination.Affiche profs santé

L’image est téléchargeable en grand ici, et pour ceux qui veulent l’imprimer en A3, ici pour le haut, et pour le bas. Vous pouvez la mettre dans votre salle d’attente, en parler autour de vous : l’important, c’est que le message passe.

Et pour retrouver d’autres billets sur le même thème, vous pouvez aller faire un tour chez DocteurGécé, chez 10lunes,et chez Gélule!

Rustineuse

J’ai parfois l’impression d’avoir manqué un épisode.

J’ai fait médecine pour aider les gens. J’ai appris pas mal de choses pour les soigner, et je continue d’apprendre et de travailler. En partie parce que j’aime bien apprendre de nouvelles choses. En partie et surtout parce que j’ai toujours, au fond, la peur de passer à côté de quelque chose, et de porter préjudice à mes patients. Je suis devenue maître de stage, parce que je crois qu’on fait un beau métier, et un métier nécessaire.
D’ailleurs c’est reconnu, les médecins généralistes sont le pivot du système de santé.

Voui voui voui. Ça c’était donc la fiche de poste.
En pratique, je me sens plus rameuse et rustineuse que « pivot du système de santé, médecin de famille, médecin de premier recours et coordonnatrice des soins ».

Dans ma tête c'est la voix du monsieur des actualités Pathé qui lit la définition, mais vous faites comme vous voulez

Dans ma tête c’est la voix du monsieur des actualités Pathé qui lit la définition, mais vous faites comme vous voulez

Je rustine pour tous ces patients qui ne peuvent pas s’arrêter de travailler alors que leur santé l’exige.
Pour Monsieur Clafoutis et sa tendinite d’épaule sévère, pour laquelle il a déjà été opéré. Pas de reclassement possible, trop vieux pour une reconversion, trop jeune pour la retraite. Il faut qu’il tienne encore 3 ans. Si ses tendons tiennent jusque là. En tant que « médecin de famille, médecin de premier recours, coordonnatrice de soins et pivot du système de santé », j’ai contacté le médecin conseil, le médecin du travail, le patient a revu le rhumato, a une reconnaissance de qualité de travailleur handicapé… Mais rien à faire. Et pas d’invalidité possible parce que c’était en maladie professionnelle et qu’à l’époque je n’avais pas encore lu ce génial billet de @docteurmilie. Je rustine donc pour Monsieur Clafoutis, à coups d’antalgiques, et en croisant les doigts pour que ça tienne.

Ma trousse d'urgence (elle est jolie, hein?) Dedans, des rustines de différents parfums (paracétamol, anti-inflammatoires...)

Ma trousse d’urgence (elle est jolie, hein?) Dedans, des rustines de différents parfums (paracétamol, anti-inflammatoires…)

Je rustine aussi pas mal pour Madame Chorizo, qui galère avec ses problèmes financiers et ses trois enfants, dont l’un a de sérieux troubles du comportement. Elle n’a plus de quoi payer son loyer, ne mange pas grand chose parce qu’elle paye à manger à ses enfants d’abord. Syndrome dépressif peu étonnant dans ce contexte. La sécu a égaré son attestation de salaire. Du coup elle est en arrêt depuis deux mois, mais n’a rien touché. Zéro virgule zéro euro. En tant que « médecin de famille, médecin de premier recours, coordonnatrice de soins et pivot du système de santé », j’ai appelé la sécu pour essayer de faire avancer les choses. Parce que bizarrement, manger et avoir un logement décent, c’est nécessaire pour être en meilleure santé. On m’a répondu qu’il fallait compter trois semaines de délai à partir de la réception du dossier complet et que non, il n’y avait aucune autre possibilité. Je rustine à base d’antidépresseurs, mais bizarrement, ça fonctionne mal.

A gauche, les rustines disponibles, diamètre 17 à 22 mm. A droite, image métaphorique concernant la taille du trou à couvrir avec la dite rustine.

A gauche, les rustines disponibles, diamètre 17 à 22 mm. A droite, image métaphorique de la taille du trou à couvrir avec les dites rustines dans la situation de Mme Chorizo.

Et même concernant des problèmes purement biomédicaux, c’est compliqué.
Parfois je sais quoi faire, je sais quelle prise en charge serait la plus adaptée pour mon patient, et mon patient est d’accord. Facile, quoi.
Mais les examens ne sont pas disponibles (merci les trois mois de délais pour une IRM).
Ou le médicament n’existe plus ou est en rupture (Levothyrox, Extencilline, Nocertone, Néomercazole… La liste est longue, et les équivalents pas toujours disponibles).
Ou l’IVG sera forcément par aspiration, parce que les délais de rendez-vous au centre d’IVG sont trop longs (il est où le choix, là?).

Je veux bien rustiner un petit peu. Ça fait partie du job. Trouver d’où vient le problème, et y mettre un pansement. Ça aide, ça n’est pas rien. On a déjà de la chance, après tout. Dans certaines circonstances, les rustines ne sont même pas disponibles. Ou sont des passoires.

N’empêche que le concept de « médecin de famille, médecin de premier recours, coordonnatrice de soins et pivot du système de santé », je trouvais ça sympa. Dommage qu’on n’ait pas les moyens de le faire pour de vrai. plaquepro

PS : Juste pour rire un peu, le niveau supérieur du rustinage, c’est pour la formation des futurs généralistes. 125 enseignants pour 13000 internes de médecine générale. (sans compter qu’on intervient également en deuxième cycle). 1 enseignant pour 107 internes. On est laaaaarge.

La flemme, les fantômes, et l’éducation thérapeutique.

Quand je termine ma journée, je ne rentre jamais seule chez moi, je ramène toujours des souvenirs.
De temps en temps, je rapporte du cabinet une ou deux taches qui me font songer à remettre une blouse pour travailler: éclaboussures de solution hydro-alcoolique, pipis de bébés, parfois pire en période d’épidémie de gastro (que celui qui ne s’est jamais fait vomir sur les chaussures réalise sa chance).

Le moment à risque de l'examen des nourrissons

Le moment à risque de l’examen des nourrissons

Parfois, je ramène une liste de coups de fil à passer le lendemain parce que je n’ai pas eu le temps de m’en occuper le jour même.
Souvent, comme Sachs Junior le raconte si bien, je rentre avec les fantômes de mes consultations du jour, qui continuent de tourner dans ma tête avec un goût d’inachevé. J’aurais dû dire ceci, j’aurais dû faire cela, j’aurais dû expliquer autrement. Parce que si j’avais dit, si j’avais fait, si j’avais expliqué, mon patient irait mieux, il aurait arrêté de fumer, il aurait accepté la vaccination contre la rougeole, il n’aurait pas arrêté son traitement…
Je progresse, hein, j’arrive à me dire que ce n’est pas ma faute, je ne m’auto-flagelle plus avec mon stéthoscope en rentrant chez moi. Et depuis que j’ai découvert l’éducation thérapeutique, depuis que je participe à des séances collectives, il y a aussi des soirs où je rentre chez moi avec la sensation enthousiasmante d’avoir vraiment aidé des patients.

L’éducation thérapeutique du patient, alias ETP, j’en avais un peu entendu parler pendant mes études, mais je ne voyais pas bien à quoi ça correspondait… « Oui, c’est informer, les patients, quoi, comme à l’école, mais ça on le fait tous, c’est pas notre faute s’ils ne comprennent pas! ». Jusqu’au jour où j’ai assisté à une séance collective d’éducation thérapeutique. Ce jour-là, j’ai su que je voulais faire ça. Parce que ça n’avait rien à voir avec l’école. Que ce n’était pas « juste informer les patients ». Que je venais de voir des patients qui vivaient avec leur maladie depuis des années, et qui après 3 heures d’atelier en petit groupe, parlaient de soulagement, de reprendre le contrôle sur ce qui leur était arrivé, qui étaient comme remotivés. Que ça m’a paru un peu magique.

J’ai cherché à me former. Ma première formation a été décevante, une initiation sur deux jours, très théorique. J’en suis sortie avec l’impression que finalement, l’éducation thérapeutique, ce n’était rien d’autre que de la manipulation hypocrite du patient pour lui faire croire que c’est lui qui décide alors qu’on le force à prendre un chemin décidé pour lui. Comme ça ne collait pas avec ce que j’avais vu en pratique, j’ai persévéré, et j’ai fait une autre formation, un peu plus approfondie, faite par des gens qui savaient vraiment de quoi ils parlaient. Et ça m’a parlé : « apprendre avec un soignant à se soigner quand il n’est pas là ».

C’est le patient qui choisit ses objectifs. C’est le patient qui choisit son chemin. C’est lui qui a le pouvoir.

Le patient (ici Musclor) a le pouvoir (ici le pouvoir du Crâne Ancestral)

Le patient (ici Musclor) a le pouvoir (ici le pouvoir du Crâne Ancestral)

Ça m’a parlé, parce que finalement, dans tous les cas, qu’on le reconnaisse ou pas, c’est le patient qui a le pouvoir. C’est sa santé, c’est lui qui décide, c’est lui qui prendra ou pas son traitement, qui modifiera ou pas son hygiène de vie, en fonction de ses valeurs, de ses représentations, de ses connaissances.

Notre travail en tant que soignant, surtout pour les maladies chroniques, c’est de partager les connaissances (sous forme compréhensible). Pas seulement délivrer une information, mais partir de ce que le patient sait, de ce qu’il vit, pour l’aider à construire son savoir et ses compétences concernant sa maladie.

Tous les patients ne sont pas intéressés par cette démarche. Certains préfèrent laisser les médecins et les soignants gérer leur santé à leur place. Et clairement, ça ne résout pas tout, et ça n’empêche pas que les soignants ont une part de responsabilité dans l’état de santé de leurs patients.
Mais je crois vraiment que tous les patients ont leur mot à dire sur la façon dont ils vivent leur maladie. Même si parfois, leurs représentations sont très éloignées des nôtres. Et que du coup c’est plus facile de se dire « de toute façon il ne comprend rien donc c’est pas la peine ».

J’aime toujours autant participer aux séances collectives en tant qu’animatrice. C’est l’occasion de côtoyer des soignants qui partagent la même envie, et ça fait du bien. Et surtout, j’y rencontre des patients qui discutent entre eux, partagent leurs expériences, leurs savoirs. Souvent, à eux tous, ils ont presque toutes les connaissances et compétences nécessaires, et on se contente de mettre tout ça en forme.

Je ne suis pas spécialiste en éducation thérapeutique, il me reste tant et tant de choses à apprendre. Mais j’aime ça.
Ça prend du temps (au début), ça nécessite de lâcher le pouvoir, de s’adapter, de patienter, de ne pas chercher à faire forcément rentrer les gens dans des cases. Mais voir des patients suggérer eux-mêmes des pistes d’amélioration pour leur santé, des objectifs réalistes et réalisables qu’ils ont choisis et pour lesquels il suffit de les accompagner, c’est quand même génial, et beaucoup moins fatigant que de chercher à les convaincre encore et encore.

Finalement, l’éducation thérapeutique, c’est mon petit truc de flemmarde pour rentrer à la maison de temps en temps avec la satisfaction d’un travail bien fait.

L'éducation thérapeutique : c'est amazing!!!

L’éducation thérapeutique : c’est amazing!!!