La flemme, les fantômes, et l’éducation thérapeutique.

Quand je termine ma journée, je ne rentre jamais seule chez moi, je ramène toujours des souvenirs.
De temps en temps, je rapporte du cabinet une ou deux taches qui me font songer à remettre une blouse pour travailler: éclaboussures de solution hydro-alcoolique, pipis de bébés, parfois pire en période d’épidémie de gastro (que celui qui ne s’est jamais fait vomir sur les chaussures réalise sa chance).

Le moment à risque de l'examen des nourrissons

Le moment à risque de l’examen des nourrissons

Parfois, je ramène une liste de coups de fil à passer le lendemain parce que je n’ai pas eu le temps de m’en occuper le jour même.
Souvent, comme Sachs Junior le raconte si bien, je rentre avec les fantômes de mes consultations du jour, qui continuent de tourner dans ma tête avec un goût d’inachevé. J’aurais dû dire ceci, j’aurais dû faire cela, j’aurais dû expliquer autrement. Parce que si j’avais dit, si j’avais fait, si j’avais expliqué, mon patient irait mieux, il aurait arrêté de fumer, il aurait accepté la vaccination contre la rougeole, il n’aurait pas arrêté son traitement…
Je progresse, hein, j’arrive à me dire que ce n’est pas ma faute, je ne m’auto-flagelle plus avec mon stéthoscope en rentrant chez moi. Et depuis que j’ai découvert l’éducation thérapeutique, depuis que je participe à des séances collectives, il y a aussi des soirs où je rentre chez moi avec la sensation enthousiasmante d’avoir vraiment aidé des patients.

L’éducation thérapeutique du patient, alias ETP, j’en avais un peu entendu parler pendant mes études, mais je ne voyais pas bien à quoi ça correspondait… « Oui, c’est informer, les patients, quoi, comme à l’école, mais ça on le fait tous, c’est pas notre faute s’ils ne comprennent pas! ». Jusqu’au jour où j’ai assisté à une séance collective d’éducation thérapeutique. Ce jour-là, j’ai su que je voulais faire ça. Parce que ça n’avait rien à voir avec l’école. Que ce n’était pas « juste informer les patients ». Que je venais de voir des patients qui vivaient avec leur maladie depuis des années, et qui après 3 heures d’atelier en petit groupe, parlaient de soulagement, de reprendre le contrôle sur ce qui leur était arrivé, qui étaient comme remotivés. Que ça m’a paru un peu magique.

J’ai cherché à me former. Ma première formation a été décevante, une initiation sur deux jours, très théorique. J’en suis sortie avec l’impression que finalement, l’éducation thérapeutique, ce n’était rien d’autre que de la manipulation hypocrite du patient pour lui faire croire que c’est lui qui décide alors qu’on le force à prendre un chemin décidé pour lui. Comme ça ne collait pas avec ce que j’avais vu en pratique, j’ai persévéré, et j’ai fait une autre formation, un peu plus approfondie, faite par des gens qui savaient vraiment de quoi ils parlaient. Et ça m’a parlé : « apprendre avec un soignant à se soigner quand il n’est pas là ».

C’est le patient qui choisit ses objectifs. C’est le patient qui choisit son chemin. C’est lui qui a le pouvoir.

Le patient (ici Musclor) a le pouvoir (ici le pouvoir du Crâne Ancestral)

Le patient (ici Musclor) a le pouvoir (ici le pouvoir du Crâne Ancestral)

Ça m’a parlé, parce que finalement, dans tous les cas, qu’on le reconnaisse ou pas, c’est le patient qui a le pouvoir. C’est sa santé, c’est lui qui décide, c’est lui qui prendra ou pas son traitement, qui modifiera ou pas son hygiène de vie, en fonction de ses valeurs, de ses représentations, de ses connaissances.

Notre travail en tant que soignant, surtout pour les maladies chroniques, c’est de partager les connaissances (sous forme compréhensible). Pas seulement délivrer une information, mais partir de ce que le patient sait, de ce qu’il vit, pour l’aider à construire son savoir et ses compétences concernant sa maladie.

Tous les patients ne sont pas intéressés par cette démarche. Certains préfèrent laisser les médecins et les soignants gérer leur santé à leur place. Et clairement, ça ne résout pas tout, et ça n’empêche pas que les soignants ont une part de responsabilité dans l’état de santé de leurs patients.
Mais je crois vraiment que tous les patients ont leur mot à dire sur la façon dont ils vivent leur maladie. Même si parfois, leurs représentations sont très éloignées des nôtres. Et que du coup c’est plus facile de se dire « de toute façon il ne comprend rien donc c’est pas la peine ».

J’aime toujours autant participer aux séances collectives en tant qu’animatrice. C’est l’occasion de côtoyer des soignants qui partagent la même envie, et ça fait du bien. Et surtout, j’y rencontre des patients qui discutent entre eux, partagent leurs expériences, leurs savoirs. Souvent, à eux tous, ils ont presque toutes les connaissances et compétences nécessaires, et on se contente de mettre tout ça en forme.

Je ne suis pas spécialiste en éducation thérapeutique, il me reste tant et tant de choses à apprendre. Mais j’aime ça.
Ça prend du temps (au début), ça nécessite de lâcher le pouvoir, de s’adapter, de patienter, de ne pas chercher à faire forcément rentrer les gens dans des cases. Mais voir des patients suggérer eux-mêmes des pistes d’amélioration pour leur santé, des objectifs réalistes et réalisables qu’ils ont choisis et pour lesquels il suffit de les accompagner, c’est quand même génial, et beaucoup moins fatigant que de chercher à les convaincre encore et encore.

Finalement, l’éducation thérapeutique, c’est mon petit truc de flemmarde pour rentrer à la maison de temps en temps avec la satisfaction d’un travail bien fait.

L'éducation thérapeutique : c'est amazing!!!

L’éducation thérapeutique : c’est amazing!!!