Déclaration de conflits d’intérêts

J’aimerais pouvoir déclarer que je n’ai pas de conflits d’intérêts. Que je travaille dans l’intérêt-de-mes-patients-et-puis-c’est-tout.

Comme à peu près tout le monde, j’ai subi la visite médicale pendant mes études. J’en garde une réglette à ECG et un disque à compter les semaines d’aménorrhée, que j’ai toujours. Depuis, je ne reçois plus les visiteurs médicaux. La seule visiteuse médicale qui vient parfois s’assoir en face de moi est une patiente, elle sait que je ne reçois pas ses collègues et ça lui va très bien comme ça. (Et elle est super motivée pour devenir AGI un jour.)

J’essaie de me former avec un maximum de sources indépendantes. Principalement la revue Prescrire (quand mes numéros ne disparaissent pas, d’ailleurs si quelqu’un croise mon numéro de novembre, dites-lui de rentrer à la maison immédiatement!), mais aussi en formation médicale continue, en essayant de rester attentive aux niveaux de preuve des études et recommandations présentées, et aux conflits d’intérêt des intervenants.
Même si, avec ma capacité d’analyse d’une enfant de 4 ans, ça me demande pas mal de concentration!

Je me méfie. J’ai des principes. Je refuse même de toucher au buffet lors des réunions du tableau de garde, qui sont à mon grand désespoir sponsorisées par des labos. Je passe pour une ayatollah et j’ai l’estomac dans les talons en rentrant chez moi, mais je résiste. (et la prochaine fois je prends les petits fours en photo pour prouver à quel point j’ai des raisons d’être fière de moi!).

J’ai refusé le paiement à la performance. Je m’assois sur quelques milliers d’euros par an, par principe. Parce que je pense que le fait d’être payée davantage si j’atteins les objectifs fixés par l’assurance maladie peut influencer ma façon de travailler. Parce que, par ailleurs, certains de ces objectifs sont médicalement crétins. Parce que je crains la dérive qui pourrait s’ensuivre, de toubibs qui refusent de prendre en charge les patients « mauvais élèves ».

J’aimerais pouvoir arrêter là ma déclaration.

Mais des conflits d’intérêts, j’en ai. Plein.

Un conflit d’intérêts, c’est une situation dans laquelle on est soumis à des intérêts multiples. Où on peut être influencé par autre chose que l’objectif principal qu’on doit poursuivre normalement.

Mon objectif principal (professionnellement parlant), c’est de prendre en charge mes patients le plus efficacement possible. De les accompagner et de les écouter, de leur proposer les meilleurs soins possibles, en leur exposant les balances avantages/inconvénients des différentes options.

Mais j’en ai plein d’autres, des objectifs. Plein d’envies, aussi. Plein d’influences.

Déjà, il y a mon besoin de me sentir utile, et mon envie qu’on me trouve sympa.

Il y a les relations avec les autres professionnels de santé, avec lesquels je ne suis pas toujours d’accord, mais je me dois de rester confraternelle.

Parfois, il m’arrive d’avoir envie de finir plus tôt, d’être à l’heure pour une soirée ou un resto avec des amis.

Certains patients sont des membres de la famille ou des amis d’amis. D’autres me sont assez antipathiques. D’autres encore m’offrent des chocolats. Et des bons, en plus!

Je suis forcément influencée par tout ça.

Et puis il y a mon côte schtroumpf à lunettes.
On m’a traitée de schtroumpf à lunettes bien avant que je n’en porte, des lunettes. Parce que j’ai passé une bonne partie de mon enfance le nez dans les bouquins. Parce qu’il paraît que j’avais un côté je-sais-tout-première-de-la-classe qui lassait mon entourage. Parce que j’ai toujours bien aimé avoir raison.
Ça n’a pas tellement changé. J’aime bien avoir raison. Et j’aime bien que les gens sachent que j’ai raison. J’aime suivre les règlements : les règles du jeu du Uno, la loi, le règlement intérieur de la piscine, les consignes pour la rédaction des certificats médicaux, les recommandations pour le diagnostic ou le traitement de tel ou tel problème de santé. C’est un peu pour ça aussi que je suis inscrite au test de lecture de la Revue Prescrire. Recevoir mon petit macaron, ça me rappelle les bonnes notes de mon CM1. Ne pas manger au buffet du tableau de garde, ça me fait le même effet pour mon estime personnelle.

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Schtroumpf à lunettes un jour, schtroumpf à lunettes toujours!

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Du coup, aussi bizarre que ça puisse paraître (puisque justement la revue Prescrire défend l’absence de conflit d’intérêts), j’ai un conflit d’intérêts prescririen, pour continuer à avoir des bonnes notes.

Et depuis twitter, c’est pire.

Les exemples des collègues qui déprescrivent, qui critiquent les labos et les recommandations officielles sur les bases d’arguments étayés et sérieux, qui arrivent à suivre ce chemin là, ça me donne envie de faire partie du club.
Parce que ça faisait longtemps que je n’avais pas senti un tel esprit collectif, une telle envie de bien faire, et une telle bienveillance dans les échanges. Parce que ça fait du bien de ne pas me sentir seule dans cette démarche. Parce que je crois que cet esprit de remise en question des pratiques et de remise à jour permanente des connaissances est un gage de qualité sur le plan médical.

Parce que ce sont des soignants à qui je confierais ma famille.

De temps en temps, ça tourne un peu à la course à l’échalote. Pour raconter la consultation ou malgré les difficiles difficultés qu’on a pu rencontrer, on a réussi à ne pas prescrire, ou à arrêter tel médicament. La course à celui qui ne prescrira plus du tout de vasoconstricteur nasal, à celle qui ne mettra pas de cortisone sur la trachéite qui traîne depuis 3 semaines. A celui qui arrivera à modifier les prescriptions des spécialistes sensibles aux sirènes de la nouveauté. Ça aussi ça joue sur ma façon de prendre en charge mes patients.

J’aimerais pouvoir déclarer que je n’ai pas de conflits d’intérêts.
Mais ce serait mentir.
Je crois, en tout cas j’espère, que certains des miens m’aident à mieux travailler. Dans l’intérêt final de mes patients. Même si une petite voix tout là-bas au fond me dit que les médecins qui se « forment grâce aux visiteurs médicaux » disent la même chose.

Alors voilà, ma liste de conflits d’intérêts. J’en oublie sûrement.

J’ai une vieille règle à ECG et une roulette à semaines d’aménorrhée sponsorisées par l’industrie pharmaceutique. 
J’ai mes patients préférés et d’autres qui m’agacent. 
J’ai un « devoir de confraternité » envers les autres professionnels de santé.
J’aime le chocolat et certains patients le savent.
J’ai l’arrière pensée du « jugement » de mes pairs twitteriens lors de certaines consultations.
J’ai envie de bien soigner mes patients. Mais j’ai aussi envie qu’on m’aime. Et j’ai aussi envie d’avoir une vie privée.
Je voudrais paraître à la fois rigoureuse et fidèle à mes principes, et gentille et arrangeante. 

Je suis à la fois un schtroumpf à lunettes et une bonne poire.

Et j’ai pas du tout l’intention d’y renoncer, à mes conflits d’intérêts. En tout cas ni à twitter, ni au chocolat.
Faut quand même pas exagérer les vertus de l’indépendance absolue 😉 .

chocolats

(edit : on me fait remarquer le conflit d’intérêts avec la pub, là bas en dessous… oui, ça me contrarie aussi. Je vais voir si y’a moyen de s’en débarrasser!)