Non à l’abattage en médecine générale

Début 2019. Le gouvernement et la sécu veulent que les médecins généralistes s’organisent pour voir 6 patients par heure.

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Médecin courant d’un patient à l’autre, hop hop hop #Rentabilité

Je ne sais même pas par où commencer…

Peut être par quelques principes de base? Ok, rappels de base.
1/ Les médecins ont pour rôle de soigner. Soigner les malades,  prévenir l’apparition des maladies, être attentifs à la santé publique. Mais faire du soin, dans tous les cas.
Nous ne sommes pas là pour répondre à une demande de consommateurs ou pour avoir 5 étoiles à un questionnaire de satisfaction.
2/ La démographie médicale est en berne. Dans les 10 ans qui viennent, le nombre de médecins va continuer de diminuer. Nous ne sommes pas assez nombreux, et non, ce n’est pas qu’une histoire de « répartition sur le territoire », et non, il n’y a pas de « zone sur dotée ». Et oui, c’est la faute de décisions politiques successives, depuis 30 ans, qui ont diminué le nombre de médecins formés, ont détricoté plein d’aspects de la médecine générale… Mais ça certains l’expliquent beaucoup mieux que moi (ici, et ici aussi). Dans ma commune, pourtant en pleine croissance, comme dans plein d’endroits, plus aucun médecin généraliste ne peut prendre en charge de nouveau patient. Parce que nos plannings débordent déjà, que les délais de rendez-vous hors urgence sont déjà à plus de 10 ou 15 jours. Et qu’il vaut mieux un médecin qui ne peut plus prendre de nouveaux patients plutôt qu’un médecin en arrêt de travail pour burn-out, qui ne peut plus voir aucun patient du tout.

Bien sûr, c’est problématique pour la population et pour les patients, on en est bien conscients. Et comme tous ces gens sont des électeurs, les gouvernements aussi en sont bien conscients. Sauf que les propositions actuelles de #MaSanté2022, elles me donnent plutôt envie de changer de métier.

L’idée du moment? Les « assistants médicaux ». Alors attention, rien à voir avec le système suisse, par exemple. Non, là, l’idée, c’est d’avoir quelqu’un, formé un an (donc rien à voir avec la formation d’une infirmière par exemple), qui gère des « tâches administrativo-médicales » mal définies pour libérer du temps médical. Ce qui permet du coup aux médecins généralistes de passer de 3 à 6 consultations par heure, d’après la CNAM qui a débuté les négociations avec les syndicats comme ça.

6 patients par heure. 10 minutes par patient.

NON MAIS ÇA VA PAS BIEN LA TÊTE???

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Non. Non, non, non, pas d’accord.

 

En tant que médecin, je suis incapable de faire des consultations de 10 minutes. Discuter, comprendre, écouter, examiner, expliquer, ça prend largement plus de 10 minutes. Et en tant que patiente, ça me choque profondément.

C’est pour ça que j’ai signé la pétition Non à l’abattage en médecine générale.

Parce que non seulement ça vient rappeler l’évidence : on ne veut pas faire 6 consultations par heure. Ce n’est bon ni pour les médecins, ni pour les patients, ni pour la santé publique.
Mais en plus des idées pour permettre une meilleure prise en charge des patients, en libérant du temps médical, et pour pas cher, on en a plein!!

Quelques illustrations…

– Suppression de l’obligation d’un certificat médical d’arrêt de travail pour les arrêts inférieurs à 2 ou 3 jours. Pour rappel, la plupart des salarié.e.s ne sont de toute façon pas rémunérés pour ces arrêts courts. Ça ne coûte rien à la sécu.
Objection classique : Oh la la mais il va y avoir des abus.
Alors d’abord, la majorité des patients n’en veut pas, d’arrêt, parce que financièrement ils ne peuvent pas se le permettre et/ou ils ne veulent pas mettre les collègues dans la panade. En ce moment je galère pour les arrêter pour des gastros ou des virus contagieux (je parle même pas de souffrance au travail ou de troubles musculosquelettiques, vu que là c’est bien plus que 2 ou 3 jours).
Et surtout, la personne qui vient me voir en me disant « J’ai vomi toute la nuit, là ça va mieux mais je n’ai pas pu aller travailler ce matin », je vais pas demander des échantillons de vomi pour avoir des preuves! Intérêt de la consultation médicale : zéro. Mais une place de moins sur mon planning. En ce moment c’est au moins 2 ou 3 par jour.

– Suppression de l’obligation d’un certificat médical pour l’absence de parents qui gardent leur enfant un jour ou deux, et interdiction des demandes de certificats médicaux pour la cantine/garderie/crèche etc. en cas d’absence d’un enfant, etc.,
Alors ça c’est particulièrement beau, parce que pour les absences scolaires, c’est DEJA dans la loi. Un certificat médical n’est exigible qu’en cas de maladie appartenant à une liste spécifique (et non, gastro grippe et autres virus ne sont pas dedans). Mais la plupart des collèges/lycées continuent de les réclamer. Et en primaire, quand c’est pas l’école, c’est la CANTINE! On a donc des parents qui savent que leur enfant n’a besoin que de repos et de paracétamol, mais qui prennent rendez-vous pour avoir un papier pour leur employeur, et un pour ne pas payer la cantine. On a donc un remboursement par la collectivité de 21 euros (la part sécu de la consultation enfant à 30€) pour que la mairie ne facture par les quelques euros de cantine du midi.
Intérêt de la consultation médicale : zéro. Encore des places en moins sur le planning. (et NON, on n’a pas le droit de faire un certificat sans voir un patient, ce serait un faux, et là pour le coup on peut avoir des problèmes).

Interdiction de la demande de certificats médicaux de non contre-indication par tous les organismes (salle de sport, club de pétanque, cours de yoga, organisateurs de courses à pied, etc.) qui le plus souvent en exigent un par an si possible datant de moins de trois mois.
Là encore, si au moins la loi était respectée… Récemment on est passé à « un certificat tous les 3 ans sous réserve d’autoquestionnaire » pour la plupart des licences de sport.
Sauf que ça ne concerne pas la salle de sport, ou le club de gym, ou l’éveil corporel du petit de 4 ans. Qui eux demandent souvent un certificat annuel! Encore une fois, on ne peut pas faire de certificat sans voir les gens, mais intérêt médical d’une consultation pour « un certif pour jouer aux échecs » : zéro! Et en septembre par exemple, c’est parfois pas loin de la moitié des consultations de la journée.

– Interdiction de tous les certificats d’absence scolaire, universitaire, grandes écoles et certificat pour les assurances, etc.,
Oui, dans l’ensemble, la plupart des certificats, on s’en passerait bien. Voir point 1 : on est là pour SOIGNER LES GENS, en fait!!

– Campagnes de communication et d’information régulières pour informer sur les critères permettant d’éviter une consultation pour les pathologies bénignes courantes (rhumes, gastros, etc.)
Vous vous souvenez de la campagne « les antibiotiques, c’est pas automatique! »?
Pourquoi on ne privilégie pas davantage l’information aux patients? Pourquoi on voit encore partout à la télé des pubs pour les médicaments contre le rhume alors qu’un rhume ça passe tout seul en se mouchant et en patientant une semaine?

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Kit de survie contre le rhume. (oui, le truc à droite est bizarre, mais ça fonctionne vraiment)

Pourquoi la fièvre fait si peur alors qu’elle est le signe qu’on se défend?
Pourquoi on voit encore partout des articles en mode « on peut mourir » parce que « je n’ai pas pu avoir un rendez-vous médical le jour même alors que j’avais de la fièvre, c’est honteux!! »  (ben euh… c’est pas vraiment une urgence, en fait!)
On le fait dans nos cabinets, à notre petite échelle. Mais une vraie politique d’éducation à la santé, de « quand consulter » ou « quand faire le 15 », ça manque cruellement!

– Accès direct avec prise en charge pour des actes paramédicaux : kinésithérapeutes DE, IDE, podologues, orthophonistes, etc.
Nous avons la chance d’avoir un maillage de collègues paramédicaux qui sont formés, compétents… Et on se retrouve avec des « il me faudrait une ordonnance de bilan logicomathématique, c’est l’orthophoniste qu’on voit pour la lecture qui me l’a demandée ». Ben évidemment je vais la faire, c’est sa compétence de savoir si c’est nécessaire! Mais pourquoi il y a besoin d’un papier avec ma signature?
La délégation de taches, le travail en équipe, OUI! mais avec des professionnels formés! les infirmiers libéraux sont non seulement sous payés mais leurs compétences sont tellement mal exploitées… Cette histoire d’assistants médicaux, c’est leur mettre une claque en pleine figure.

Et c’est tellement, tellement rageant.

Notre système de santé mérite mieux que ça. Nos patients méritent mieux que ça.

Alors si vous aussi vous trouvez que 10 minutes par patient, ce n’est pas possible, n’hésitez pas à ajouter votre signature, et à relayer la pétition.

Non à l’abattage en médecine générale. 100 médecins généralistes lancent l’alerte.

QRcode pétition

Votre médecin, vous le voulez avec ou sans pub?

Mettons nous en situation.
Vous devez acheter un siège auto pour votre tout nouveau bébé. Pour le choisir, vous avez plusieurs options.
Vous pouvez choisir le dernier sorti, avec sa double page de pub dans le magazine MeilleurSiègeAutoDuMonde. Il est beau, il est design, il a un bel imprimé approuvé par la police du style. Bon, pas de chance, il a des résultats pourris aux crash-tests et il coûte les yeux de la tête. Mais il fait classe dans la voiture.
Vous pouvez aussi vous renseigner. Lire le dossier de l’UFC Que Choisir, les résultats des crash-tests français et étrangers, et déterminer quel modèle présente le meilleur rapport qualité/prix et avantages/inconvénients.
Maintenant, imaginez ce que ça donnerait si vous n’aviez pas le droit de choisir vous-même. Un conseiller en sièges auto va le choisir pour vous, et vous donner un bon pour obtenir un modèle précis.
C’est votre siège auto, c’est votre enfant, c’est votre argent. Si vous tombez sur un conseiller qui le souhaite, il peut prendre votre avis. Vous présenter les différentes options. Mais il peut aussi vous obliger à prendre tel ou tel siège auto.

Le pouvoir du médecin, c’est ça. C’est de choisir pour vous, ou avec vous, ce qui peut vous protéger ou vous tuer.

Alors il peut être intéressant de savoir comment il choisit. Comment il connaît les nouveautés. Pub ou pas pub?

La pub, tout le monde connaît, on en entend, on en voit, on en lit à longueur de journée.

  • Nouveau shampoing: + 17% de brillance! (sur 12 femmes qui l’ont testé gratuitement pendant 2 semaines)
  • Remise de 6000 euros sur notre dernier modèle de super voiture (enfin en enlevant la prime bidule, la reprise machin, et en prenant la version avec toutes les options)
  • Efficacité du déo garantie 5 jours en courant un marathon dans le désert (et alors, la marmotte…)

La publicité est un métier, avec ses techniques de communication, ses images chocs, ses slogans qui restent en tête, ses musiques accrocheuses… Parfois les ficelles sont trop grosses, et on se dit que vraiment il faudrait arrêter de nous prendre pour des abrutis.
Souvent, ça fonctionne. On ne va pas forcément au supermarché exprès pour acheter ces biscuits-là, mais on est suffisamment influencés pour se dire « pourquoi pas essayer? ».

La visite des représentants des firmes pharmaceutiques dans les cabinets des médecins, dans les hôpitaux, auprès des étudiants en médecine, c’est de la pub. Ni plus, ni moins.
Les objectifs des firmes pharmaceutiques sont des objectifs de vente. Ce sont des firmes commerciales. Et comme toute firme commerciale, les laboratoires font de la pub. Avec les mêmes techniques.

De la pub dans les journaux spécialisés. C’est pas tout neuf, c’est toujours le cas dans la plupart des revues.
Il y a aussi plein de congrès ou de formations médicales sponsorisées par des laboratoires pharmaceutiques. Comme les dessins animés pour les enfants sponsorisés par une marque de biscuits ou de jouets. 
Des experts médicaux vantent à la télé ou auprès des professionnels de santé les mérites d’un médicament ou d’un autre. Comme les joueurs de foot qui vantent les mérites de telle marque de chaussures.
Et puis il y a le porte à porte, la pub en direct, via les visites des représentants pharmaceutiques, les fameux visiteurs médicaux. Qui présentent avec un sourire ultra brite , en demandant comment se sont passées nos vacances, de jolies plaquettes qui expliquent en couleur comment le Bidulor améliore de 17% un résultat de prise de sang. Alors que ce qui compte c’est la qualité de vie du patient, qui elle n’est pas du tout améliorée par le Bidulor. Et que le Bidulor a en plus de rares effets secondaires graves qui seront marqués en tout petit petit sur l’arrière de la jolie plaquette.

La visite des représentants des firmes pharmaceutiques dans les cabinets des médecins, dans les hôpitaux, auprès des étudiants en médecine, c’est de la pub.
Même objectif. Mêmes techniques. La publicité mensongère est punie par la loi. Mais la vérité est photoshoppable.

Croyez-vous à tout ce que vous raconte la pub?
Achetez-vous un 4×4 simplement parce que c’est le dernier sorti et que la pub est sympa et vous a donné envie d’en avoir un?
Pensez-vous que la santé est un bien de consommation comme les autres?
Trouvez-vous normal que votre médecin soit soumis à de régulières pages de pub concernant les médicaments qu’il vous prescrit?

Si vous avez envie de répondre non, vous pouvez faire deux choses.

Vous pouvez simplement demander à votre médecin s’il reçoit les représentants commerciaux des firmes pharmaceutiques. Ce n’est pas parce qu’il les reçoit qu’il ne fait pas son travail correctement, bien sûr. Il y a d’excellents médecins qui reçoivent les visiteurs médicaux. Mais il a été largement démontré que la visite médicale influence les prescriptions. Même chez ceux qui se croient non influencés.

Et, que vous soyez professionnel de santé ou usager du système de soin, vous pouvez signer par ici une pétition lancée par B., pour demander à ce que ces pages de pub soient interdites.

Nous ne sommes pas les premiers à soulever le problème. Le Formindep le fait depuis des années, La Revue Prescrire le fait depuis des années, des voix s’élèvent régulièrement pour dénoncer cet état de fait. Petit à petit, tout doucement, ça commence à bouger. Le Médiator est passé par là, Diane 35 et les pilules de 3e et 4e génération. On se pose des questions sur les conflits d’intérêt des prescripteurs et sur leurs influences. Il faudrait passer à la vitesse supérieure, maintenant.

Le but n’est absolument pas de stigmatiser les visiteurs médicaux, qui font un métier difficile, souvent ingrat, dans une ambiance économique bien morose. Ils font leur travail, et souvent le font bien. C’est simplement que des techniques commerciales qui recherchent un profit maximal sont difficilement compatibles avec les enjeux de santé individuelle (pour chaque patient) et communautaire (pour le système de santé) majeurs que les professionnels de santé ont à gérer. Oui, l’interdiction des visites des représentants des firmes pharmaceutiques auprès des prescripteurs mettrait plein de monde au chômage, et c’est affreux. Mais l’interdiction du Médiator ou de pesticides dangereux met aussi du monde au chômage. C’est terrible pour les salariés concernés, qui n’y sont pour rien. Et je n’ai pas de solution pour rendre ça moins terrible. Mais je reste convaincue que je préfère une médecine sans pub.

Par ici pour la pétition -> http://www.petitions24.net/signatures/chut_pas_de_marques

Maltraitance des soignants, maltraitance des patients

Ce blog n’était vraiment pas prévu comme un espace militant. Il redeviendra bien vite ce qu’il était, petit espace perso de réflexion sur ma pratique de médecine de famille, avec quelques anecdotes. Mais depuis 10 jours, je reçois des mails, des commentaires, des liens vers des documents passionnants. Comme Leya_MK, ça me donne envie de sortir ce que j’ai sur le coeur. Alors puisque cette affaire de chemises d’hôpital me donne l’occasion de parler de dignité à l’hôpital, parlons-en. 

Il y a eu beaucoup de témoignages touchants suite à cette pétition et à sa médiatisation.

Côté patients, l’impression d’être considéré comme un « morceau de viande », de ne pas avoir son mot à dire, de se voir appeler « mamie » dès qu’on a trop de cheveux blancs, de ne pas être informé des examens ou du diagnostic, de voir débarquer 10 personnes dans sa chambre pour la visite médicale, de ne pas savoir qui est qui parmi les dizaines de personnes qu’on voit défiler. C’est intolérable, bien sûr.

Côté soignants, une charge de travail éprouvante, des congés et arrêts maladie non remplacés, pas ou peu de reconnaissance, pas assez de temps pour se former et travailler en équipe, des aide-soignants qui se cassent le dos pour remplacer le lève-malade hors d’usage, et pour beaucoup, le stress constant du décalage entre la façon idéale de prendre soin des patients, et la réalité des conditions de travail. Rosa l’infirmière en parle très bien. Et c’est intolérable aussi.

L’hôpital est malade, tout le monde en souffre. Les chemises des patients n’en sont qu’un petit symptôme. Souffrance et maltraitance ordinaire, pour les usagers comme pour les soignants.

Un rapport de la Haute Autorité de Santé paru en 2009 s’est penché sur ce problème. Il est passionnant. Un peu effrayant, aussi.

La première partie est consacrée à l’analyse de témoignages de patients, et de proches de personnes hospitalisées, sur les différents types de maltraitance qu’ils ont pu constater. Ames sensibles s’abstenir. La deuxième partie s’attache à recueillir les témoignages de personnels de santé sur ces mêmes phénomènes, et sur les causes de cette maltraitance.

« Des professionnels malmenés par l’institution deviennent plus sûrement des professionnels maltraitants ». Tout est décrit. La souffrance des personnels (burn-out et compagnie), une organisation des soins rigide et mal adaptée, un manque de professionnels formés et stables. Et le conflit entre les exigences de personnalisation de la prise en charge et la standardisation des soins.

Dans ce même rapport, on trouve des pistes d’amélioration. Formation des professionnels, signalement des maltraitances. Dynamique de bientraitance, en repartant des attentes des malades et de leurs proches, en prenant du recul sur les pratique par des réunions de service avec analyse des problèmes. « Il faut s’assurer que les professionnels ont les moyens de travailler correctement ».

Je n’invente rien, tout est là, dans ce rapport de 2009. Ces éléments ont été pris en compte dans la procédure de certification V2010 des établissements hospitaliers. Du coup c’est marqué : il faut promouvoir la bientraitance et éviter la maltraitance, et il faut avoir les moyens de le faire.

Il y a juste un petit problème. Il faut avoir les moyens de le faire, mais tout est fait pour que ces moyens ne soient pas donnés. Et si vous n’y arrivez pas, on rajoute une certification, parce que c’est probablement que vous n’avez pas bien compris qu’il fallait faire comme ça. Rameurs, à vos avirons!

Je ne suis pas économiste, ni gestionnaire. Certains aspects du problème m’échappent certainement. Mais je ne peux pas m’empêcher de rêver.

Prenez un service de médecine. Donnez-lui assez de personnel. Par facilité, je mets tout au masculin, puisque le français n’offre pas de termes génériques aux deux genres. Aides-soignants, infirmiers, médecins, mais aussi agents de service hospitalier, cadre, kiné, assistant social, psychologue, technicien, diététicien… et j’en oublie sûrement.

Dans ce service, les équipes ont le temps de faire régulièrement des réunions. Transmissions, évidemment, mais aussi des réunions pour évoquer les situations rencontrées dans le service, débriefer avec le psychologue, échanger de façon pluridisciplinaire.

Il y a suffisamment de remplaçants, donc Martine ne refuse pas l’arrêt de travail proposé par son généraliste quand elle va le voir avec un début de tendinite à l’épaule. Elle est en arrêt un mois, soigne sa tendinite, et rejoint son service. Elle n’attend pas de ne plus dormir pour consulter, elle n’a pas besoin d’une intervention qui va l’immobiliser 6 mois et nécessiter de faire travailler des intérimaires qui coûtent plus cher à l’établissement.

Les aides-soignants n’ont pas 15 patients chacun, donc lorsque M. Dupont sonne, Jacques peut y répondre dans les minutes qui suivent, même si c’est simplement parce que M. Dupont souhaiterait qu’on lui retire le bassin et que ce n’est pas une urgence médicale.

Les décisions médicales sont discutées, en équipe et avec les patients. L’équipe a le temps d’accompagner les annonces de mauvaise nouvelle, les patients en fin de vie. Ils ont remarqué que du coup, il font moins de cures de chimiothérapie « pour dire qu’on fait quelque chose même si on sait que ça ne sert à rien ». Meilleur confort pour les patients, et économiquement pas aberrant.

Pour les patients alités, on dispose toujours des chemises d’hôpital vintage, les blanches à petits motifs bleus qui s’ouvrent dans le dos, et qui évitent de trop manipuler un patient douloureux pour lui mettre le bassin. Mais dès que le patient peut sortir de son lit, on peut lui proposer l’autre modèle de chemise, celle un peu plus longue, qui s’ouvre sur le côté, avec les ouvertures aux épaules pour faire passer les perfusions ou le deshabiller rapidement en cas d’urgence. Ça fait une semaine que Mme Chausson se promène comme ça dans le service. Dans deux jours sa fille qui habite loin doit venir la voir, elle devrait lui apporter quelques vêtements de rechange. Elle pourra aussi rencontrer l’assistant social pour organiser le retour à la maison dans de bonnes conditions. La durée de séjour de Mme Chausson est un peu longue, mais ça lui évitera de revenir dans trois jours parce que le retour à domicile se sera mal passé.

Lors des réunions de service, les initiatives des uns et des autres sont encouragées. Parce que les professionnels de terrain sont les mieux placés pour savoir comment améliorer les soins et leurs conditions de travail. Le cadre a suggéré récemment de faire plus attention à la consommation inutile d’oxygène. Depuis, toute l’équipe fait la chasse au gaspi, et on voit moins de lunettes d’oxygène abandonnées par les patients qui n’en ont plus besoin, mais débitant toujours leur précieux gaz.

Hier, l’infirmier a remarqué que le rideau de séparation entre les deux patients de la chambre 208 ne tenait plus correctement. Pas besoin de remplir un formulaire en trois exemplaires pour justifier la demande. Il a simplement appelé le technicien, qui est passé ce matin rectifier le problème avant que le rideau ne se détache complètement. Bien sûr, pour l’intimité des patients, l’idéal serait de n’avoir que des chambres à une place, mais il faut bien s’adapter aux exigences matérielles.

Est ce que ça coûterait si cher que ça? Est ce qu’on ne peut pas y voir aussi des sources d’économie? Des professionnels épanouis, ça veut dire aussi moins d’arrêt de travail. Et des patients moins stressés vont mieux plus vite. Du temps pour discuter, rassurer, ça peut représenter des économies sur les somnifères et les tranquillisants. De l’oxygène qui ne fuite plus dans les chambres, ça peut financer un nouveau fauteuil roulant plus confortable, y compris pour les patients en surpoids pour lesquels le modèle standard n’est pas assez large. Une meilleure prise en charge des soins palliatifs, ce sont des médicaments parfois très chers et plein d’effets secondaires qui peuvent être arrêtés sans perte de chance pour les patients.

Si on fait le lien avec la médecine ambulatoire, on peut même optimiser encore le système. Parce que certains examens faits en ville et refaits à l’hôpital par principe ne sont pas indispensables. Parce qu’organiser le retour à domicile d’un patient hospitalisé, ça diminue la probablité d’une réhospitalisation, avec ambulance et frais importants. Parce qu’un patient qui arrive aux urgences avec des informations correctes de la part de son médecin traitant, ça fait gagner du temps, de l’efficacité et de l’argent à tout le monde.

Et en encourageant une formation médicale indépendante des firmes pharmaceutiques, là je pense qu’on peut vraiment faire des économies tout en améliorant la prise en charge de nos patients.

A part quelques moutons noirs très minoritaires, les soignants ne sont pas maltraitants. Si on leur donnait les moyens nécessaires pour ne pas le devenir, tout le monde irait mieux.

J’avais prévenu, j’aime bien rêver.

« L’homme raisonnable s’adapte au monde; l’homme déraisonnable s’obstine à essayer d’adapter le monde à lui-même. Tout progrès dépend donc de l’homme déraisonnable. »
George Bernard Shaw

Et chez vous, comment ça se passe?

Je suis épatée.

Cet article sur les chemises d’hôpital, il est venu d’une réaction émotionnelle, pas d’une longue réflexion sur l’état des lieux à l’hôpital.

Je savais qu’on était plusieurs à être agacés par ces chemises laissant voir les fesses des patients. C’était frustrant, cette impression de ne rien pouvoir y faire… alors après l’avoir dit sur le ton de la boutade, j’ai fini par la lancer, la pétition.

Et ça a pris au-delà de mes espérances. Entreprise collective, qui a trouvé un bel écho. La pétition a commencé à rassembler du monde, plus de 2000 personnes à l’heure où j’écris ce petit mot.

D’où l’épatage dont je parlais au début. Un sincère remerciement à tous ceux qui ont relayé l’info, qui ont signé, qui ont laissé des commentaires.

Deuxième effet Kiss Cool, il y a aussi eu des critiques.

« Cette affaire de chemises d’hôpital, ce n’est pas le principal problème du système de santé, ni des patients, ni des hôpitaux. » C’est certain, rien à dire là-dessus. C’est un détail qui peut être choquant, mais c’est un détail. Moi aussi, à choisir, je préfère avoir les fesses à l’air et être bien soignée, plutôt qu’avoir une chemise plus longue et mieux fermée et des soins de moins bonne qualité.

Mais il y a aussi eu tout un tas de variantes sur le thème « Ça ne concerne que quelques services dans quelques hôpitaux« , ou « Ce n’est que pour les gens qui arrivent sans leurs affaires« .

Et là, je suis moins convaincue.
Peut-être que mes patients et moi, on n’a vraiment pas de chance, et qu’on habite dans le seul endroit de France où la majorité des services utilisent ces chemises.
Peut-être qu’après tout, on s’énerve pour rien, et que ces chemises ouvertes aux fesses sont déjà des modèles en voie de disparition.

Comment ça se passe, dans « votre » hôpital, celui où vous êtes passé récemment en tant que patient ou visiteur, ou celui où vous travaillez? Quelles tenues sont proposées aux patients?

Si vous le souhaitez, si vous avez deux minutes, vous pouvez répondre à cette question par ici: Enquête – Quelle chemise d’hôpital dans quel établissement?

A nous tous, on doit pouvoir faire un état des lieux.
Promis, quand j’ai les résultats, je vous dessine une carte de France des fesses à l’air ou fesses couvertes!

Edit : En attendant la carte de France façon carte météo, vous pouvez déjà jeter un coup d’oeil sur les résultats du sondage sous forme d’un joli tableau excel.

Edit 2 : poursuite de la réflexion par ici : Maltraitance des soignants, maltraitance des patients.

Pour des chemises d’hôpital respectant la pudeur et la dignité des patients.

Tout le monde est d’accord.

Le code de déontologie le dit.  

Le code de la santé publique le dit « : Loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades, Art. L. 1110-2. – La personne malade a droit au respect de sa dignité. » Simple, efficace.

La charte de la personne hospitalisée le dit.

 

En résumé, toute personne a droit au respect de sa dignité, et ça inclut les patients ou personnes hospitalisées.

 Et pourtant…

Pourtant, dans la majorité des établissements hospitaliers, qu’on vienne pour une appendicite, pour une pneumonie, ou parce que, à 85 ans, on est tombé à la maison et qu’on a des troubles de l’équilibre, on se retrouve affublé à l’arrivée de la même blouse de patient. Chemise de malade. Jaquette d’hôpital. Appelez ça comme vous voudrez, c’est toujours la même.

Taille unique, la même pour M. AncienRugbyman, 150 kilos pour 1,90m, ou pour Mme Souris, 32kilos toute mouillée.
Couleur fadasse, souvent blanche à petits motifs bleus, délavée par des centaines de lavages.
Ouverte dans le dos.
4 boutons pression, les mêmes depuis des années, parce que la durée de vie de ces blouses est effarante. La durée de vie des boutons pression n’est pas la même, malheureusement, alors ils ne tiennent pas forcément tous les 4. Et puis même quand ils tiennent tous les 4, ils s’arrêtent en bas du dos.

Ce qui implique un choix quand on porte une de ces blouses et qu’on bouge ou qu’on marche.
Option 1 : on montre ses fesses à son voisin de chambre et à tous ceux qu’on peut croiser dans le couloir en allant demander un renseignement à la salle de soin, remplir sa carafe d’eau ou juste se dégourdir les jambes.
Option 2 : on se contorsionne pour tenir d’une main le bas de sa blouse au niveau des fesses quand on se déplace.

C’est l’option que j’ai choisie quand je me suis retrouvée pour une toute petite intervention pas grave, en « chemise de malade », à gagner l’autre bout du couloir pour aller prendre ma douche à la bétadine. Et déjà, j’étais pas trop à l’aise. Alors que je n’ai pas la carrure de M. AncienRugbyman, qui avec toute sa bonne volonté, ne pourrait même pas fermer la blouse. (Bon, je dois dire que je n’ai pas non plus, la carrure de Mme Souris).

Endormie, opérée, réveillée, remontée dans ma chambre. Remettre mes habits à moi a été mon premier réflexe en retrouvant la capacité de le faire. Même que je me suis fait gronder parce que je m’étais levée avant le passage de l’infirmière, rien que pour récupérer ma culotte.

Et je n’ai passé que quelques heure dans cette fichue chemise de malade.

En tant que soignante, ça me gêne aussi. J’ai l’habitude de voir des corps nus, c’est pas ça qui m’embête. Mais le droit à la pudeur et à la dignité, c’est important. Je ne travaille plus à l’hôpital. Dans mon cabinet, j’essaye, autant que faire se peut, de respecter cette pudeur de mes patients. En dehors des bébés, je ne leur demande jamais de se déshabiller intégralement pour l’examen. On fait par étapes : enlever le haut, examen, remettre le haut, enlever le bas… Borée en parle très bien par ici.

Je n’y travaille plus, à l’hôpital, mais je l’ai fréquenté assez longtemps pour que le même énervement me saisisse à la lecture du billet de LeyaMK l’autre jour. Dignité? mes fesses.

Cet énervenement, on est nombreux à le partager, et depuis longtemps.

Jaddo en parlait en 2007 déjà, par là.

Gélule l’a magnifiquement mis en image en 2010, par ici.  

Il y a eu des vraies études scientifiques sur le sujet. Celle-ci et celle-là, qui prouvent que le ressenti des patients sur ce sujet est loin d’être anodin. Ils parlent de dépersonnalisation, de stigmatisation.

Et pourtant, j’ai eu beau chercher, je n’ai trouvé nulle part de pétition ou de demande de la part d’associations de patients.

Je suis consciente du fait qu’il y a d’autres problèmes, probablement plus importants, à gérer concernant notre système de santé. L’accès aux soins, les infections nosocomiales, les conditions de travail des soignants, les problèmes de licenciement et de non renouvellement du personnel en milieu hospitalier, la participation des patients aux décisions les concernant, le naufrage de l’assurance maladie… On a l’embarras du choix.

Bien sûr, le plus important en terme de respect de la dignité des patients, c’est l’attitude des soignants. Ne pas parler de la « fracture du 7 », se souvenir que les patients sont des humains qui ont leur mot à dire sur leur prise en charge, et le mettre en pratique en les impliquant dans leurs soins.

Pour certains soignants, c’est évident. Pour d’autres, on a l’impression que c’est plus difficile. Dans tous les cas, je crois que ça aide d’avoir en face de soi un patient à l’aise dans sa chemise d’hôpital.

N’est-il pas aberrant qu’au milieu de tous ces beaux discours sur la bioéthique, le respect de la dignité et des droits des patients, ils se retrouvent toujours à se balader les fesses à l’air?

Les hôpitaux sont tous en déficit, et le renouvellement complet de leur stock de chemises de patients n’est probablement pas leur priorité.
Et puis il y a un côté pratique à la chemise d’hôpital : vite enlevée, vite remise, pratique pour mettre le bassin. Même taille pour tout le monde, plus facile pour gérer les stocks et les lessives.

Mais des alternatives existent. Certains établissements les ont choisies.

Au Canada, en Grande Bretagne.

Il est temps qu’on s’y mette aussi en France, non?

En parler c’est bien. Agir c’est mieux. Et comme il est difficile de réaliser des opérations commando pour aller coudre des boutons supplémentaires en bas des modèles disponibles, ça passe par une prise de conscience. Pour que peu à peu, au fil des renouvellements de stocks, ces affreuses chemises disparaissent.

Si ça vous touche, si vous êtes d’accord, vous pouvez allez par ici :

Pétition pour des chemises d’hôpital respectant la pudeur et la dignité des patients. 

(pour info, on peut signer en ne laissant visible que son pseudonyme, même s’il faut renseigner le reste).

Signez la pétition, diffusez le lien, et si vous êtes hospitalisé, pensez à le signaler dans le questionnaire de satisfaction à la sortie. La première étape, c’est d’arrêter de considérer que c’est normal.

En espérant qu’un jour, on se rappelle avec effarement de cette époque lointaine où les patients avaient les fesses à l’air. (Je sais, je suis une incorrigible optimiste, mais qui ne tente rien n’a rien!)

Edit : vous pouvez nous aider à faire l’état des lieux des tenues hospitalières pour les patients en répondant à quelques questions par ici.

Et pour poursuivre la réflexion, billet publié le 13 août : Maltraitance des soignants, maltraitance des patients.