Pour des chemises d’hôpital respectant la pudeur et la dignité des patients.

Tout le monde est d’accord.

Le code de déontologie le dit.  

Le code de la santé publique le dit « : Loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades, Art. L. 1110-2. – La personne malade a droit au respect de sa dignité. » Simple, efficace.

La charte de la personne hospitalisée le dit.

 

En résumé, toute personne a droit au respect de sa dignité, et ça inclut les patients ou personnes hospitalisées.

 Et pourtant…

Pourtant, dans la majorité des établissements hospitaliers, qu’on vienne pour une appendicite, pour une pneumonie, ou parce que, à 85 ans, on est tombé à la maison et qu’on a des troubles de l’équilibre, on se retrouve affublé à l’arrivée de la même blouse de patient. Chemise de malade. Jaquette d’hôpital. Appelez ça comme vous voudrez, c’est toujours la même.

Taille unique, la même pour M. AncienRugbyman, 150 kilos pour 1,90m, ou pour Mme Souris, 32kilos toute mouillée.
Couleur fadasse, souvent blanche à petits motifs bleus, délavée par des centaines de lavages.
Ouverte dans le dos.
4 boutons pression, les mêmes depuis des années, parce que la durée de vie de ces blouses est effarante. La durée de vie des boutons pression n’est pas la même, malheureusement, alors ils ne tiennent pas forcément tous les 4. Et puis même quand ils tiennent tous les 4, ils s’arrêtent en bas du dos.

Ce qui implique un choix quand on porte une de ces blouses et qu’on bouge ou qu’on marche.
Option 1 : on montre ses fesses à son voisin de chambre et à tous ceux qu’on peut croiser dans le couloir en allant demander un renseignement à la salle de soin, remplir sa carafe d’eau ou juste se dégourdir les jambes.
Option 2 : on se contorsionne pour tenir d’une main le bas de sa blouse au niveau des fesses quand on se déplace.

C’est l’option que j’ai choisie quand je me suis retrouvée pour une toute petite intervention pas grave, en « chemise de malade », à gagner l’autre bout du couloir pour aller prendre ma douche à la bétadine. Et déjà, j’étais pas trop à l’aise. Alors que je n’ai pas la carrure de M. AncienRugbyman, qui avec toute sa bonne volonté, ne pourrait même pas fermer la blouse. (Bon, je dois dire que je n’ai pas non plus, la carrure de Mme Souris).

Endormie, opérée, réveillée, remontée dans ma chambre. Remettre mes habits à moi a été mon premier réflexe en retrouvant la capacité de le faire. Même que je me suis fait gronder parce que je m’étais levée avant le passage de l’infirmière, rien que pour récupérer ma culotte.

Et je n’ai passé que quelques heure dans cette fichue chemise de malade.

En tant que soignante, ça me gêne aussi. J’ai l’habitude de voir des corps nus, c’est pas ça qui m’embête. Mais le droit à la pudeur et à la dignité, c’est important. Je ne travaille plus à l’hôpital. Dans mon cabinet, j’essaye, autant que faire se peut, de respecter cette pudeur de mes patients. En dehors des bébés, je ne leur demande jamais de se déshabiller intégralement pour l’examen. On fait par étapes : enlever le haut, examen, remettre le haut, enlever le bas… Borée en parle très bien par ici.

Je n’y travaille plus, à l’hôpital, mais je l’ai fréquenté assez longtemps pour que le même énervement me saisisse à la lecture du billet de LeyaMK l’autre jour. Dignité? mes fesses.

Cet énervenement, on est nombreux à le partager, et depuis longtemps.

Jaddo en parlait en 2007 déjà, par là.

Gélule l’a magnifiquement mis en image en 2010, par ici.  

Il y a eu des vraies études scientifiques sur le sujet. Celle-ci et celle-là, qui prouvent que le ressenti des patients sur ce sujet est loin d’être anodin. Ils parlent de dépersonnalisation, de stigmatisation.

Et pourtant, j’ai eu beau chercher, je n’ai trouvé nulle part de pétition ou de demande de la part d’associations de patients.

Je suis consciente du fait qu’il y a d’autres problèmes, probablement plus importants, à gérer concernant notre système de santé. L’accès aux soins, les infections nosocomiales, les conditions de travail des soignants, les problèmes de licenciement et de non renouvellement du personnel en milieu hospitalier, la participation des patients aux décisions les concernant, le naufrage de l’assurance maladie… On a l’embarras du choix.

Bien sûr, le plus important en terme de respect de la dignité des patients, c’est l’attitude des soignants. Ne pas parler de la « fracture du 7 », se souvenir que les patients sont des humains qui ont leur mot à dire sur leur prise en charge, et le mettre en pratique en les impliquant dans leurs soins.

Pour certains soignants, c’est évident. Pour d’autres, on a l’impression que c’est plus difficile. Dans tous les cas, je crois que ça aide d’avoir en face de soi un patient à l’aise dans sa chemise d’hôpital.

N’est-il pas aberrant qu’au milieu de tous ces beaux discours sur la bioéthique, le respect de la dignité et des droits des patients, ils se retrouvent toujours à se balader les fesses à l’air?

Les hôpitaux sont tous en déficit, et le renouvellement complet de leur stock de chemises de patients n’est probablement pas leur priorité.
Et puis il y a un côté pratique à la chemise d’hôpital : vite enlevée, vite remise, pratique pour mettre le bassin. Même taille pour tout le monde, plus facile pour gérer les stocks et les lessives.

Mais des alternatives existent. Certains établissements les ont choisies.

Au Canada, en Grande Bretagne.

Il est temps qu’on s’y mette aussi en France, non?

En parler c’est bien. Agir c’est mieux. Et comme il est difficile de réaliser des opérations commando pour aller coudre des boutons supplémentaires en bas des modèles disponibles, ça passe par une prise de conscience. Pour que peu à peu, au fil des renouvellements de stocks, ces affreuses chemises disparaissent.

Si ça vous touche, si vous êtes d’accord, vous pouvez allez par ici :

Pétition pour des chemises d’hôpital respectant la pudeur et la dignité des patients. 

(pour info, on peut signer en ne laissant visible que son pseudonyme, même s’il faut renseigner le reste).

Signez la pétition, diffusez le lien, et si vous êtes hospitalisé, pensez à le signaler dans le questionnaire de satisfaction à la sortie. La première étape, c’est d’arrêter de considérer que c’est normal.

En espérant qu’un jour, on se rappelle avec effarement de cette époque lointaine où les patients avaient les fesses à l’air. (Je sais, je suis une incorrigible optimiste, mais qui ne tente rien n’a rien!)

Edit : vous pouvez nous aider à faire l’état des lieux des tenues hospitalières pour les patients en répondant à quelques questions par ici.

Et pour poursuivre la réflexion, billet publié le 13 août : Maltraitance des soignants, maltraitance des patients.

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Bonne poire

Etre gentille c’est important. Pour moi c’est une vraie qualité. Faire attention aux autres, avoir envie de les aider, ne pas faire à autrui ce que je ne voudrais pas qu’on me fasse, ces valeurs-là. Ça m’a toujours agacée cette dérive du « ah oui, elle est gentille », version « bien brave », option « un peu bête qui se laisse marcher dessus ».

Donc oui, je suis gentille, enfin en tout cas j’essaie.
Le problème, c’est que le glissement de la gentillesse à la bonne poiritude est très facile.

Quand on n’est pas gentil, on laisse le collègue malade se débrouiller pour sa garde en disant qu’on a piscine.
Quand on est gentil, on dépanne le collègue qui ne peut pas faire sa garde parce qu’il a la gastro.
Quand on est bonne poire, on dépanne le collègue qui ne peut pas faire sa garde parce qu’il a encore la gueule de bois.

Quand on n’est pas gentil, on enguirlande le patient en retard coincé dans les bouchons.
Quand on est gentil, on accepte gracieusement les excuses du patient qui la veille, pour la première fois, a oublié de venir, et on lui refixe un rendez-vous.
Quand on est bonne poire, on appelle celui qui n’est pas venu aujourd’hui, et on lui donne un rendez-vous le soir même parce qu’il n’était pas réveillé le matin et demande un rendez vous rapide.

Quand on est gentil, on jette un coup d’oeil sur les oreilles de la petite dernière qu’on a vue 10 jours avant pour une otite, pendant que le grand finit de se rhabiller.
Quand on est bonne poire, on voit le grand, la petite, et on fait le courrier pour que la maman aille chez la dermato, le tout en une consultation, ça fera 26 euros merci.

Quand on est gentil, on dépanne un patient d’un spray de ventoline par téléphone, en lui préparant une ordonnance qu’il passera chercher au cabinet médical.
Quand on est bonne poire, on dépanne beaucoup. Et un soir, on se retrouve à compter le nombre d’enveloppes préparées pour des patients qui ont laissé un message au secrétariat, et il y en a 11. Sans compter les coups de téléphone pour des avis sur les résultats de prise de sang ou donner un conseil. 11 enveloppes , quand on a vu 25 patients « pour de vrai » dans la journée, ça fait beaucoup. Trop, probablement.

Je suis donc une bonne poire. Et à force, ça dévalue mon travail et mon temps. Et ça use.

Donc objectif : débonnepoirisation. Je commence aujourd’hui.

Mais voilà…

Audric a besoin d’une ordonnance pour le renouvellement de ses séances d’orthophonie. Il y va depuis 2 ans pour un retard de langage qui progresse bien, je ne suis absolument pas compétente pour évaluer la nécessité de poursuivre ou non. Enveloppe n°1.

Béatrice a appelé pour que je lui refasse l’ordonnance de rééducation du post partum. Elle a fait les trois premières séances avec sa sage-femme, mais les horaires ne collent pas, elle voudrait continuer chez la kiné, mais il lui faut une autre ordonnance. Enveloppe n°2.

Cécile a perdu l’ordonnance de pilule que je lui ai faite il y a trois mois. Enveloppe n°3.

Frédéric, que j’ai vu la semaine dernière pour sa visite d’aptitude au sport et qui avait une nouvelle poussée d’eczéma, pensait vraiment qu’il lui restait du Diprosone à la maison. Mais le tube est périmé. Enveloppe n°4.

J’ai vu Baptiste il y a 10 jours pour son rappel de vaccin et une visite globale. Le collège réclame un certificat d’aptitude au sport en milieu scolaire pour la rentrée. Enveloppe n°5, en attendant d’aller discuter une bonne fois pour toutes avec le directeur pour lui expliquer mon point de vue, collège privé ou pas.

Stéphanie a appelé pour demander une ordonnance de DTP et de Pneumo 23. Je l’appelle, parce que je ne suis pas sûre que ce soit adapté. Effectivement, projet de grossesse donc plutôt DTP + coqueluche à faire, et n’a pas d’indication au Pneumo23. Enveloppe n°6.

La maman de Titouan a déposé la licence de foot à signer et tamponner, je l’ai vu trois jours avant. Enveloppe n°7.

Jérôme rappelle. Son éruption cutanée bizarre ne répond pas au traitement. Comme on l’avait convenu, je lui prend rendez-vous chez le dermato. Courrier à faire, mis dans l’enveloppe n°8.

Laura a une anémie par carence martiale découverte au don du sang. La faute à ses règles abondantes. Un coup de fil et une ordonnance pour une supplémentation en fer dans l’enveloppe n°9.

Bien sûr, chacune de ces enveloppes ne prend pas énormément de temps. C’est l’accumulation qui joue sur l’emploi du temps et sur mes nerfs. Surtout quand la demande n’est pas adaptée, ou pas si simple.

Par exemple la demande d’Antoine, 42 ans, qui veut un certificat pour un marathon. Pas vu depuis deux ans, pas question de lui faire ça comme ça. Pas d’enveloppe n°10, mais un coup de fil de 5 minutes pour lui expliquer que non, je ne peux pas lui faire sans le voir, même si sa compétition est dans 10 jours et qu’il n’a pas le temps de venir avant.

Ou celle de Catherine, qui a pris rendez vous chez le chirurgien parce qu’elle a mal à l’épaule, et veut un courrier. Pas d’enveloppe n°11, mais nouveau coup de fil à rallonge.

Le chemin de la débonnepoirisation va être long, je crois.

Si vous avez des pistes, je suis preneuse.

Myriam, Julie et le secret médical

Le secret médical, c’est un principe majeur. Tout le monde sait ça. Il faut toujours le respecter, il est absolu, sauf exception légale.

Bien sûr.

D’ailleurs, je le rappelle tous les jours à mes patients.
A Blandine, 16 ans, qui a un copain et a besoin d’une contraception, mais qui ne veut pas que ses parents le sachent : je ne leur dirai rien.
A Stéphane qui a peur que sa femme soit au courant de ses angoisses : je ne lui dirai rien.
A Daniel qui me dit que son employeur veut m’appeler pour savoir pourquoi il est en arrêt : je ne leur dirai rien, et je me permettrai de leur faire savoir que ça ne les regarde pas.
Pour moi, l’explicitation de la règle du secret médical donne à mon bureau un aspect de refuge hermétique, d’espace sécurisé dans lequel mes patients peuvent se confier.

Je le rappelle souvent aussi à ma secrétaire.
Non, il ne faut pas donner les résultats d’Emilie à sa mère. Emilie a 20 ans, et même si c’est sa mère, on n’a pas le droit de lui donner d’informations.
Non, il ne faut pas dire à Lisa si son mari a rendez-vous demain ou pas. Ça peut paraître un peu extrême, mais c’est couvert par le secret médical.
Ça arrangerait bien Emilie qu’on donne les résultats à sa mère parce qu’elle n’a pas le temps d’appeler, et qu’elle se dit que sa mère comprendra mieux. Mais Lisa et son mari sont en train de divorcer, lui a des problèmes d’alcool, et elle cherche à prouver qu’il ne peut pas avoir la garde des enfants.
Donc dans le doute, on répond, poliment mais fermement : « Je ne peux pas vous répondre, je suis tenue au secret professionnel ».

Mais parfois, c’est un peu compliqué.

Il y a quelques jours, Myriam est venue consulter. Je la vois régulièrement depuis quelques mois, pour une affaire de douleur chronique et de moral qui flanche. Je connais son mari, ses enfants. Je sais aussi qu’elle est très copine avec Julie. Myriam sait que je suis le médecin de Julie, Julie sait que je suis le médecin de Myriam. Je sais qu’elles le savent.
Julie a consulté ma collègue il y a une semaine. Ça, je ne le sais pas, mais Myriam le sait. Elle m’en parle parce qu’elle l’a vue la veille, et que son problème ne s’arrange pas. Elle me dit aussi que Julie n’a pas pris les médicaments prescrits par ma collègue, et qu’elle a par contre commencé à prendre un traitement à sa sauce. Je regarde discrètement le dossier de Julie. Rien de très grave, mais ça peut le devenir en l’absence de prise en charge adaptée, surtout vu ce que me raconte Myriam.

Dans ce contexte, j’en fais quoi, du secret professionnel?

Si je veux respecter le principe et la loi à la lettre, je ne dis rien à Myriam évidemment. Mais je ne dois pas non plus dire à Julie que j’ai vu Myriam en consultation. D’un autre côté, pour la santé de Julie, je ne peux pas faire comme si je n’avais rien entendu. Donc il faudrait que je l’appelle pour discuter du traitement qu’elle a pris ou pas, et de ce qu’il convient de faire. Et je donne quoi comme raison à mon coup de téléphone? « Mon petit doigt m’a dit de prendre de vos nouvelles »? Pas très crédible.

Et puis de toute façon je n’ai pas su le faire. Myriam m’a vu faire un peu la grimace en entendant ce qu’elle me racontait. Je suis nulle en poker face.
Alors j’ai demandé à Myriam si ça l’embêtait que je dise à Julie que c’était elle qui m’en avait parlé. Elle a rigolé en me disant qu’elle l’avait prévenue avant de venir : « Je vais voir le docteur ce matin, je vais lui parler de ton truc, c’est pas normal que ça n’aille pas mieux, tu devrais prendre rendez-vous ».

J’ai appelé Julie. Elle attendait mon coup de fil. Elle ne voulait pas me déranger pour ça, mais c’était bien tombé que Myriam puisse m’en parler, parce que ça l’inquiétait quand même un peu.

Tout est bien qui finit bien. Myriam a su que j’allais appeler Julie, que son problème de santé nécessitait qu’elle consulte de nouveau. Julie a su que Myriam m’avait vue le matin. Pas grave, puisqu’elles en avaient déjà parlé entre elles. Je me dis que pour cette fois, ma petite entorse au secret médical n’a pas eu de conséquence malheureuse. Que le bon sens est parfois plus important que le respect absolu de la loi.

Mais je sais que la pente est glissante, et que forcément, parfois, je dérape. J’espère juste que ce n’est pas trop souvent.

Pourquoi j’ai bien fait de pas faire fleuriste

Attention, j’ai le plus grand respect pour les fleuristes, qui travaillent très dur pour faire tourner leur boutique, se lèvent probablement super tôt pour aller cueillir leurs fleurs ou les chercher au marché, et doivent se couper les doigts avec des feuilles à longueur de temps.

N’empêche que ma question récurrente pendant mon internat (préférentiellement en sortant de garde, l’estomac dans les talons et des cernes de 12 cm sous les yeux, avec option « multiples taches puantes et mal identifiées sur la blouse et/ou sur les chaussures»), c’était ça : « Mais pourquoi j’ai pas fait fleuriste? »

De temps en temps ça me reprend. Il y a des jours plus difficiles que d’autres, avec un peu de fatigue, une charge émotionnelle un peu plus lourde, parfois des reproches de patients ou de leurs familles, ou un énième courrier incompréhensible de l’Urssaf. (C’est la preuve que je ne réflechissais pas assez quand j’étais interne, parce qu’en fait les fleuristes aussi ont affaire à l’Urssaf).

Alors j’ai fini par réfléchir pour de bon à la question.

Et il y a plein de raisons qui font que je suis contente de ne pas avoir laissé tomber la fac de médecine pour devenir fleuriste.

Il y a les raisons bassements matérielles.

J’ai un risque chômage approchant zéro, des revenus très corrects en ne travaillant que 4 jours par semaine, et quand je négocie un prêt avec mon banquier, il est très sympa avec moi. Accessoirement c’est quand même super pratique de pouvoir se faire une ordonnance de collyre entre le train et l’avion quand on part en voyage avec une grosse conjonctivite.

Il y a, de façon moins basse et moins matérielle, le fait d’avoir un rôle à jouer dans la société, d’aider autrui, tout ça.

Mon estime personnelle en est toute renflouée. Et puis je connais des agriculteurs, des artisans, des retraités, des étudiants, des chômeurs, des enfants en difficulté scolaire, des enseignants, des salariés harcelés… Depuis, je mets des visages et des histoires sur ce que j’entends aux infos. Ça ne rend pas les dites infos plus agréables, mais ça les rend au moins plus vivantes.

Il y a la stimulation intellectuelle permanente du métier.

Je cherche à m’adapter aux circonstances, j’essaye, en moins d’une demi-heure de consultation, de mettre au point une stratégie qui permet au patient de savoir où on va, même si tout n’est pas réglé. Et comme la moitié de ce qu’on apprend à la fac est périmé en 5 ou 10 ans, c’est un challenge de rester à jour, et j’apprends de nouvelles choses quotidiennement.

Il y a une raison moins glorieuse : j’ai découvert que j’adorais faire partie de la vie des gens.

Je suis toujours contente de recevoir un faire part de naissance ou de mariage, ou bien de voir la photo de la petite-fille d’un patient visiblement fier.

Un jour, un petit patient de 5 ans qui me tutoyait s’est fait reprendre par sa maman « Au docteur on lui dit vous, pas tu ». Il lui a répondu « mais enfin maman, je la connais bien! », comme si c’était une évidence, et ça m’a fait sourire.

Je ne suis pas installée depuis longtemps, mais je commence à reconstituer les arbres généalogiques, mais aussi les interactions sociales de mon petit coin de campagne. Qui travaille avec qui, qui est voisin de qui, qui va à l’école ensemble, qui est l’assistante maternelle de qui… C’est comme un grand paysage, ou un tableau dont je découvrirais les détails petit à petit.

Il y a l’honneur inattendu et le bonheur d’avoir la confiance des patients.

Parfois c’est dit explicitement. Parfois c’est un dessin d’enfant, ou une boîte de chocolats posée sur mon bureau ou le pare-brise de ma voiture (pour pas déranger!). Parfois c’est un coup de téléphone en sortant de chez le grand spécialiste pour savoir ce que j’en pense, ou un appel depuis la chambre d’hôpital pour que j’appelle les médecins du service, qui n’ont pas été très clairs dans leurs explications. Parfois c’est la recommandation d’un patient qui conseille à son voisin de venir me voir. Tout ça continue de m’épater, et me met la pression pour mériter cette confiance, mais quel carburant pour la motivation!

Il y a la certitude de ne jamais s’ennuyer au boulot.

Je passe d’une consultation « gouzi gouzi » avec un nourrisson en pleine forme, à un renouvellement pour un octogénaire cardiaque, d’un certificat de sport pour une ado, à une crise d’asthme chez un gamin… sans compter les coups de téléphone, et les problèmes courants à régler, de la chasse d’eau qui fuit aux commandes de matériel médical et à la comptabilité. Ça apprend à être polyvalente.

Il y a aussi toutes les petites victoires, les petits moments de grâce, les sourires.

Quand je vois pour autre chose la patiente qui consultait deux fois par semaine l’an dernier pour ses enfants, et qu’elle me dit en fin de consultation « sinon, Enzo a eu de la fievre pendant deux jours, mais c’était qu’un rhume, je me suis souvenue de ce que vous m’aviez dit, alors je suis pas venue ». Que ça me fait réaliser que cet hiver, la proportion de consultations pour des bêtes rhumes a quand même un peu diminué. Et que mes radotages ne sont peut-être pas si inutiles que ça.

Quand enfin, au bout de plusieurs dizaines de minutes de lutte acharnée, j’arrive à retirer l’implant contraceptif posé trop profond par la gynécologue trois ans plus tôt, et que ma patiente et moi contemplons le « bébé » d’un air satisfait.

Quand j’arrive à surmonter l’absurdité de la machinerie « hôpital » ou « sécu », et que j’obtiens une information claire sans passer par trois secrétariats différents et douze musiques d’attente.

Quand j’entends un petit patient rire aux éclats parce que ses parents lui font des grimaces pendant que je le mesure.

Quand j’ai cette sensation d’avoir trouvé une clé après des mois devant une porte bloquée, en voyant une patiente qui raconte son père violent et sa mère qui ne disait rien, sa peur de faire du mal à ses enfants, et qui redresse la tête pour me regarder dans les yeux et me demander un peu d’aide pour gérer ça.

Quand j’examine, stéthoscope et tout le toutim, le doudou d’un petit qui hurlait « jeeee veeeeeuuux paaaaaas!! » en entrant dans mon bureau, qu’il se tait peu à peu en me regardant d’un air méfiant , puis participe… et finalement se laisse examiner sans problème et me fait un grand sourire en partant.

Quand un patient m’annonce qu’il a arrêté de fumer, et que je suis aussi fière que lui.

Quand on me dit « C’était que ça? » après une injection de vaccin, une pose d’implant contraceptif, une suture ou un premier examen gynéco, et que je me dis que ça n’était pas trop douloureux, pas trop inconfortable.

Quand j’explique que je suis absente pendant 15 jours, et que des dizaines de personnes me souhaitent de bonnes vacances. Et me demandent comment c’était quand je reviens.

Quand je finis par comprendre que si le petit Charles ne veut pas mettre ses lunettes, c’est parce qu’en fait, il s’appelle Don Diego De La Vega, et que « Zorro, il a pas de lunettes! ».

Quand je constate, une fois de plus, les capacités du corps humain, qui guérit tout seul, qui cicatrise, qui résiste à tant de choses. Même si ça marche pas tout le temps, ça continue de m’émerveiller.

Tout ça, si j’avais fait fleuriste, je ne l’aurais pas vécu.

Et puis, de toute façon, je suis allergique aux pollens.