Volontariat obligatoire

Hier soir, c’était le planning de garde.
Alors à 20h45, une fois la journée de consultations terminée, les papiers faits, les coups de fils passés, j’ai rangé mes petites affaires, et je suis partie, dans la joie et la bonne humeur (presque) retrouver les collègues du secteur à 20 bornes de là. C’est l’occasion de rentrer chez moi après minuit, et ça c’est pas glop. Mais c’est  aussi l’occasion de voir les collègues, et ça c’est plus glop.  Mais on ne les voit pas tous. Hier soir, par exemple, sur les 54 médecins du secteur, on était moins de 25. Et y’en a 18 qu’on a jamais vu.e.s.

Pourtant, on a de la chance.
On a une chouette MMG (maison médicale de garde). Dans des locaux propres, bien équipés. Les patients appellent le 15 avant de venir, les régulateurs régulent, nous envoient seulement les patients qui le nécessitent. Nos gardes se terminent à minuit. Le samedi et les dimanches et fériés, il y a en plus un médecin d’astreinte, jusqu’à 20h, pour faire les visites incontournables, là encore régulées par le centre 15. Et sur le secteur, on est 54 médecins. Donc en théorie, c’est moins d’une garde par mois. Tranquille.

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Mais ça, c’est la théorie.

En pratique… En pratique, hier soir, une vingtaine de médecins présents, d’autres qui avaient donné quelques dates possibles, et quelques remplaçants.

Faut dire que les astreintes, c’est chiant. Le secteur est grand, on fait des bornes, surtout quand on n’habite pas dans le secteur. Ça m’est arrivé plusieurs fois de dépasser les 200km sur une astreinte. Et comme on compte les kilomètres depuis la MMG et pas depuis notre domicile, c’est pas « rentable » (j’habite à plus de 40km). Pour une journée bloquée, qu’on passe dans la voiture et pas en famille, ni au bord de la mer ou au ciné, c’est dans les 200 ou 300 euros max (et faut déduire les charges perso, là dessus, évidemment).
Alors personne n’aime les astreintes. On est une quinzaine à en prendre, et certain.e.s en font vraiment souvent.

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Et puis les gardes… Pour certaines, c’est la foire d’empoigne.  Un samedi de midi à minuit, en hiver, c’est facilement 25 patients, à presque 50 euros la consultation. Ça fait une sacrée journée, mais clairement, les recettes de la journée motivent. Et attirent les remplaçants.  Bizarrement, pour certains soirs de semaine, ou pour le 24 décembre, c’est beaucoup plus difficile.
Hier soir,  quand on est arrivé au 24 décembre, ça a duré 10 minutes. Dix longues minutes de silences embarrassés, de « non moi je peux pas », de « j’ai déjà fait le réveillon l’an dernier ». Forcément, celles et ceux qui étaient là avaient à peu près tous déjà fait des Noëls ou des réveillons des années précédentes. Toujours les mêmes têtes. De moins en moins nombreuses.

J’ai eu de la chance. Quelqu’un a craqué avant moi. Je ne serai pas de garde cette année à Noël. Mais je trouve très injuste que ça se soit joué entre celles et ceux qui avaient fait l’effort de venir.

L’organisation de la permanence des soins est particulière. C’est une obligation déontologique. Mais la participation au tableau de garde (dans notre secteur en tout cas, et légalement je crois) est basée sur le volontariat. On ne peut pas forcer les médecins à prendre des gardes. Sauf cas exceptionnels et réquisition. Mais il faut compléter le tableau de garde. Déontologiquement parlant, on ne peut pas laisser de dates sans personne. Alors les volontaires bouchent les trous, même sur des dates qui ne les arrangent pas. Pendant que d’autres restent tranquilles chez eux, ou ont juste donné une liste de quelques dates qu’ils.elles veulent bien prendre.

C’est un peu démotivant. Surtout quand parfois, dans mon entourage, on me dit que je suis trop bête de le faire si je suis pas obligée.

Je sais qu’on est privilégiés, maitenant. Que le système de gardes « à l’ancienne » était bien plus contraignant. Que c’est important pour nos patients, et important pour nos collègues régulateurs, qui galèrent bien assez comme ça.
Mais je sais aussi que j’ai mes limites. Que tout ça est un équilibre bien précaire, à cheval sur ce concept bancal de volontariat obligatoire.

Et que l’injustice du système « qui sera la plus bonne poire » me pèse toujours autant.

9 réflexions au sujet de « Volontariat obligatoire »

  1. 54 médecins sur le secteur… ça fait presque rêver.
    Nous sommes (pour l’instant) 7 sur le secteur à en prendre.
    Ça paraît peu, mais le fait que nous soyons aussi peu nombreux facilite probablement la communication… Je vivrais sûrement plus mal que plus de la moitié des médecins ignorent totalement le truc. Ici tout le monde joue le jeu. Du coup quand l’un d’entre nous demande à être exempté à l’approche de la retraite ou lors d’une grossesse, on accepte et ça se passe bien.

    En gros ça se passe bien parce que je vis chez les bisounours peut être, et parce que nous sommes peu justement. D’ailleurs, cette année je vais peut être demander Noël, parce que ça fait longtemps que je l’ai pas fait.

    J’ai hâte, nous c’est lundi la foire d’empoigne !

    • oh la la , 7 sur le secteur, c’est dingo!! c’est clair que là on est dans des super conditions, c’est vraiment pas la charge de travail qui me pèse, au total j’ai une à deux gardes ou astreintes par mois. C’est vraiment une histoire de principe… je me prends probablement la tête pour rien!

      • non mais comme je te dis, c’est « psychologiquement » moins lourd quand tout le monde est logé à la même enseigne. Je pense. Ca me gonflerait aussi dans ta situation.

    • La clé c’est le nombre de personnes dans le pool.

      Petit pool de garde (6 internes) = planning des 6 mois fait en 20 min.

      Gros pool de garde (40 internes, 2 lignes de garde, soit 1.5 garde par mois!)= on en connait pas la moitié, alors on s’en fout  »il y en aura bien un qui la fera ». 1 mois pour établir 5 mois de planning et bataille de chiffonier pour échapper au dernier WE (avec tout de même un  »j’vous préviens si c’est moi qui est désigné je me mettrai en arrêt maladie » ; oui, c’est bien un futur médecin qui menace les autres d’un AT pipeau ! le même qui ralera ensuite contre les demandes d’arrêt abusives de ses patients)

  2. Ce système est injuste. Ici nous mettons TOUS les médecins sur la liste de garde Si ils ne viennent pas tant pis.Avec un tour spécial Noël sur 10 ans

  3. Dans mon secteur semi-rural, proche d’une grande ville, nous sommes une quinzaine.
    La prévention du burn-out est passée par l’arrêt des astreintes de semaine (ce qui est subitement urgent à 20 h et ne peut attendre le lendemain est à mon sens pour les urgences…) puis secondairement, nous nous sommes arrêtés à 20h le WE aussi, pour les mêmes raisons.
    Bon courage
    Doclili

  4. Dans notre secteur urbain mais ratissant large le tableau de garde se fait par ordre alphabétique en séparant semaine et week end. Noel et le jour de l’an sont donnés chacun son tour en tenant compte des années précédentes. Donc pas de réunion pour savoir qui prend qu’elle garde, c’est imposé. Bien sûr on peut changer entre nous. Malheureusement d’une part on est pas régulé et d’autre part on est en face des urgences qui nous envoient beaucoup, ce qui entraîne facilement énormément de consultations. Une vingtaine le soir de 20:00 à 23:45. Une trentaine par vacations de 4 heures les week end. Un jour un collègue a vu 80 personnes un dimanche de 09:00 à 23:00. Moi plus de 50 un samedi soir et un dimanche matin et c’est exponentiel….
    Sans compter les constats de décès que l’on fait sur notre pause ou après le boulot car on ne peut pas quitter la maison médicale. Mais bon 12 gardes par an, des sous avec une partie non imposable car zone déficitaire, des belles rencontres quelquefois.
    Et comme je fais mes gardes, je ne travaille plus le samedi matin.

  5. Dans notre secteur, tous les médecins sont inscrits sur le planning de garde (exception faite pour ceux qui font déjà de la régulation ou participent d’une manière ou d’une autre à la permanence des soins). Ceux qui ne veulent pas en faire se débrouillent pour se faire remplacer. D’ailleurs, ils n’ont absolument aucun mal à trouver preneur. Il y a deux réunions par an pour la forme, mais aucune prise de tête pour le planning. Normal, comme c’est moi qui le fait, il est forcément parfait!!
    Pour les fêtes de fin d’année, c’est sur la base du volontariat, et si aucun volontaire, on tire au sort parmi ceux qui n’ont pas encore contribué. C’est le jeu, çà marche bien comme çà, personne ne s’en plaint.
    J’espère que vous allez trouver un autre système que le vôtre car forcément, être constamment celui qui se fait avoir, çà finit par donner des ulcères!!

  6. j arrive un peu tard…mais ici,, on a trouvé l’équilibre:
    une super personne droite dans ses bottes fait le planning des gardes de semaine AVANT la réunion; en demandant auparavant par mail les dates de NON-DISPONIBILITES des participants.

    Pour les gardes de WE/JF/ponts:
    on fait le planning PENDANT la réunion. les absents communiquent leur NON-DISPONIBILITES,

    et on équilibre tout: que chacun fasse le même nombre de gardes;
    on note en mémoire qui fait JF /Ponts …

    et hop, super.

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