#TeamBisounourse : la MG c’est la vie

Hier, on m’a parlé d’une remplaçante (pas chez moi), qui trouvait que la MG c’était « chiant », et que c’était « de l’abattage », et qui se posait la question d’un exercice salarié quitte à gagner moins, mais au moins ne pas s’ennuyer.
J’ai ouvert des yeux ronds comme des billes.
Parce que OK, la période n’est pas folichonne pour la MG, l’exercice se complexifie, on se fait accuser de dépenser les sous de la Sécu en prescrivant des arrêts de travail à gogo, je comprends que l’installation puisse faire peur.

Mais malgré ça, tous les jours, j’ai des moments qui valent le coup en consultation. Des sourires, des marques de confiance, des preuves qu’être « le médecin traitant » c’est être un peu « dans la vie » des gens, le contraire de l’abattage, et ça, je kiffe toujours autant.

Alors voilà, c’est un billet de blog Bisounourse, des petits bouts de consultations anonymisées, juste parce que j’avais envie.

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Portrait de moi, par Jeanne, 5 ans, qui accompagnait son papa. Alors que je lui proposais de finir son dessin chez elle, elle m’a répondu « mais c’est TOI, c’est pour l’accrocher!!! »

Théo, 11 ans, vient pour voir s’il peut faire de la natation. Parce qu’après il veut faire de la plongée. Parce qu’après il veut faire astronaute.

Michel, 68 ans, se marre quand je lui apprends l’expression « partir en cacahuète ».

Lors d’une discussion avec la famille d’Edouard, en soins palliatifs après une grave-maladie-diagnostiquée-trop-tard, son fils me dit que bien sûr ils ne m’en veulent pas. Que de toute façon il savait, et que c’était pour ça qu’il n’avait pas consulté. Et qu’il avait toujours « bien vécu », en répétant que « quand les gros seront maigres, les maigres seront morts ». Et ça nous a fait sourire, sa famille et moi, assis dans sa cuisine, de débriefer de ça tous ensemble.

Malo, 5 ans, grosse rhino, grognon et plein de fièvre, à qui je conseille de se moucher, me fait une merveilleuse démonstration de « je me mouche avec ma langue ».

Delphine, 41 ans, qui vient avec ses 2 enfants, me prévient en début de consultation que si son téléphone sonne, il faudra qu’elle réponde, parce qu’elle a été tirée au sort à un jeu de la radio. Ça a sonné. Elle a répondu. Elle a gagné un voyage pour toute la famille, pendant que je faisais « chuuuuuut » aux enfants, et le vaccin du grand est passé comme un charme.

Adelaïde, 6 ans, me demande quel bruit ça fait son coeur. Je lui fais écouter. Elle me regarde avec des grands yeux en disant « c’est trop beau!!! ». Elle a raison.

Sophie, 45 ans, m’apporte un pain au chocolat pour mon goûter parce que « [elle est] sûre que je prends même pas le temps de faire une pause! ». Elle a raison aussi.

Jacques, 66 ans, qui n’aime pas attendre et prend toujours le premier rendez-vous de la journée, a vu le Grand Professeur Du Grand CHU qui lui a rajouté un traitement pour son diabète pourtant parfaitement équilibré. Il ne l’a pas pris, parce qu’il voulait qu’on en discute avant. Alors on a discuté ;-).

Au milieu des courriers médicaux, une carte postale de Enzo, 5 ans1/2 , que j’ai vu beaucoup trop souvent ces dernières semaine, et qui heureusement était guéri avant de partir en vacances. Plus tard, sa mère, morte de rire, me racontera la genèse de la carte.

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Catégorie « courriers », il y a eu aussi le mail de Céline et Antoine, avec des photos de leurs jumelles dans leurs bras, quatre heures après leur naissance. Quelques semaines en avance, la naissance, mais vu que ça faisait plus de 3 ans qu’ils galéraient pour devenir parents, et que les petites vont bien, on va pas chipoter!

Maelys, 7 ans, a un joli collier qu’elle a fait « TOUTE SEULE et avec un COEUR parce qu’elle a UN AMOUREUX ». Par contre elle ne se souvient plus du tout pourquoi sa mère a pris RDV pour elle. Quand elle est revenue la fois d’après, elle m’avait fait un collier.

Sonia a oublié son agenda du sommeil, mais m’annonce, très fière d’elle, qu’elle dort toutes les nuits jusqu’à 5h, et se sent beaucoup plus reposée. Quand elle est venue il y a 2 mois, on a pris le temps de discuter, elle a accepté de tenter la « rééducation du sommeil sans médicament », et ça marche. Elle a de quoi être fière (et du coup moi aussi un peu, par ricochet ^^).

Diego, venu pour contrôler ses tympans, veut savoir s’il a grandi. Il est venu il y a 3 jours, je l’avais déjà mesuré, mais « Maman elle m’a dit qu’on grandissait un petit peu tous les jours!!! ». Spoiler : ma toise n’est pas assez précise.

Et c’est comme ça tous les jours. Tous les jours des histoires, des sourires, des aventures, des discussions, de la vie, quoi.
Alors oui, au milieu de ça, il y a aussi de la rage, et de l’impuissance, et de la tristesse, et du ras-le-bol. Les injustices, les imbroglios administratifs, les demandes abusives, les choses-qui-ne-se-passent-pas-comme-elles-devraient. Genre l’employeur de mon patient en arrêt de travail de longue durée, qui souhaite une rupture conventionnelle, mais à qui son patron dit que ça n’est pas possible, « mais vous n’avez qu’à ramener votre contrat de travail initial, on le détruira et on en refera un avec une date de fin »… #NonMaisÇaVaPasBienLaTête.
L’impression de ne pas en faire assez, ou de ne pas faire assez bien, ou de ne pas avoir les moyens de faire. Les délais pour les examens et avis spécialisés qui s’allongent, la souffrance au travail, la souffrance tout court.

Mais malgré ça, pour le moment, je trouve toujours que ça vaut le coup. Parce que c’est le contraire d’un métier chiant. Et parce que j’ai l’impression de faire un tout petit peu quelque chose pour aider. J’ai toujours le sentiment, après 11 ans de MG, et 6 ans après avoir écrit ça, que j’ai bien fait de choisir ce boulot.

Pourvu que ça dure.

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En bonus, la radiographie de Doudou-De-Jeanne (la même que mon portrait), 2ans1/2 à l’époque. Le manip radio qui faisait sa RP avait le sens de l’humour.