Le secret médical, c’est un principe majeur. Tout le monde sait ça. Il faut toujours le respecter, il est absolu, sauf exception légale.
Bien sûr.
D’ailleurs, je le rappelle tous les jours à mes patients.
A Blandine, 16 ans, qui a un copain et a besoin d’une contraception, mais qui ne veut pas que ses parents le sachent : je ne leur dirai rien.
A Stéphane qui a peur que sa femme soit au courant de ses angoisses : je ne lui dirai rien.
A Daniel qui me dit que son employeur veut m’appeler pour savoir pourquoi il est en arrêt : je ne leur dirai rien, et je me permettrai de leur faire savoir que ça ne les regarde pas.
Pour moi, l’explicitation de la règle du secret médical donne à mon bureau un aspect de refuge hermétique, d’espace sécurisé dans lequel mes patients peuvent se confier.
Non, il ne faut pas donner les résultats d’Emilie à sa mère. Emilie a 20 ans, et même si c’est sa mère, on n’a pas le droit de lui donner d’informations.
Non, il ne faut pas dire à Lisa si son mari a rendez-vous demain ou pas. Ça peut paraître un peu extrême, mais c’est couvert par le secret médical.
Ça arrangerait bien Emilie qu’on donne les résultats à sa mère parce qu’elle n’a pas le temps d’appeler, et qu’elle se dit que sa mère comprendra mieux. Mais Lisa et son mari sont en train de divorcer, lui a des problèmes d’alcool, et elle cherche à prouver qu’il ne peut pas avoir la garde des enfants.
Donc dans le doute, on répond, poliment mais fermement : « Je ne peux pas vous répondre, je suis tenue au secret professionnel ».
Mais parfois, c’est un peu compliqué.
Il y a quelques jours, Myriam est venue consulter. Je la vois régulièrement depuis quelques mois, pour une affaire de douleur chronique et de moral qui flanche. Je connais son mari, ses enfants. Je sais aussi qu’elle est très copine avec Julie. Myriam sait que je suis le médecin de Julie, Julie sait que je suis le médecin de Myriam. Je sais qu’elles le savent.
Julie a consulté ma collègue il y a une semaine. Ça, je ne le sais pas, mais Myriam le sait. Elle m’en parle parce qu’elle l’a vue la veille, et que son problème ne s’arrange pas. Elle me dit aussi que Julie n’a pas pris les médicaments prescrits par ma collègue, et qu’elle a par contre commencé à prendre un traitement à sa sauce. Je regarde discrètement le dossier de Julie. Rien de très grave, mais ça peut le devenir en l’absence de prise en charge adaptée, surtout vu ce que me raconte Myriam.
Dans ce contexte, j’en fais quoi, du secret professionnel?
Si je veux respecter le principe et la loi à la lettre, je ne dis rien à Myriam évidemment. Mais je ne dois pas non plus dire à Julie que j’ai vu Myriam en consultation. D’un autre côté, pour la santé de Julie, je ne peux pas faire comme si je n’avais rien entendu. Donc il faudrait que je l’appelle pour discuter du traitement qu’elle a pris ou pas, et de ce qu’il convient de faire. Et je donne quoi comme raison à mon coup de téléphone? « Mon petit doigt m’a dit de prendre de vos nouvelles »? Pas très crédible.
Et puis de toute façon je n’ai pas su le faire. Myriam m’a vu faire un peu la grimace en entendant ce qu’elle me racontait. Je suis nulle en poker face.
Alors j’ai demandé à Myriam si ça l’embêtait que je dise à Julie que c’était elle qui m’en avait parlé. Elle a rigolé en me disant qu’elle l’avait prévenue avant de venir : « Je vais voir le docteur ce matin, je vais lui parler de ton truc, c’est pas normal que ça n’aille pas mieux, tu devrais prendre rendez-vous ».
J’ai appelé Julie. Elle attendait mon coup de fil. Elle ne voulait pas me déranger pour ça, mais c’était bien tombé que Myriam puisse m’en parler, parce que ça l’inquiétait quand même un peu.
Tout est bien qui finit bien. Myriam a su que j’allais appeler Julie, que son problème de santé nécessitait qu’elle consulte de nouveau. Julie a su que Myriam m’avait vue le matin. Pas grave, puisqu’elles en avaient déjà parlé entre elles. Je me dis que pour cette fois, ma petite entorse au secret médical n’a pas eu de conséquence malheureuse. Que le bon sens est parfois plus important que le respect absolu de la loi.
Mais je sais que la pente est glissante, et que forcément, parfois, je dérape. J’espère juste que ce n’est pas trop souvent.
Il me semble que cette situation ne relève pas du secret médical, mais de la gestion des confidences. « Je vous dis qu’un tiers est malade » (le tiers peut être le mari ou la voisine). Pour ne pas se retrouver coincé, le plus simple est de questionner celui qui vous met dans le secret, de lui demander pourquoi il vous apporte cette information et s’il vous autorise à l’utiliser en citant la source. (cela s’appelle métacommuniquer, ce n’est pas habituel en Médecine, mais c’est bien pratique : Paul Watzlawicz, une logique de la communication, passionnant et rassurant)
Bravo pour cet exemple criant de vérité, qui illustre un grand nombre de cas usuels de questionnement et de l’usage du secret médical.
Dans un cabinet médical on parle toujours trop. Vos réflexions sont pertinentes. Nous sommes confrontés à ces situations et nous regrettons parfois d’en avoir trop dit. Et parfois, aussi, nous posons trop de questions comme si nous devions connaître la vérité. Il n’y a pas de vérité, mais peut-être celle du patient. Il faut savoir s’arrêter à temps. Les malades mentent et c’est leur droit. Nous ne sommes pas non plus obligés de leur dire la vérité.
Il y a la loi, la déontologie et il y a la vie. Réussir à s’en dépatouiller n’est pas toujours évident, mais vouloir que les gens aillent mieux c’est évident pour toi et c’est ce qui est important pour eux!
Jolie histoire… Ca donne à réfléchir !
Cet article est intéressant, même si je ne suis pas dans ce milieu je trouve que ce blog est vraiment très bien. Toutes mes félicitations !
Je suis une future étudiante en médecine, et très passionnée par le milieu médical. Je n’ai même pas commencé mes études mais il y a des règles que je veux m’efforcer de respecter en tant que futur médecin (je touche du bois), malgré le cynisme ambiant et l’aigreur des longues études. Une de ces règles c’est la dignité. Ça semble simple mais regroupe tellement de choses, et par dessus tout le secret médical me tient à coeur. Là c’est le moment où je vais raconter l’histoire de Machin et Truc et d’ailleurs je cours revêtir mon costume de Père Castor! J’ai 2 amies, X et Y (jumelles par ailleurs) qui ont été amené chez le gynéco par la mère. Un rendez-vous chez le gynéco, en début de vie sexuelle, quelle bonne idée, toutes les mères ne sont pas si ouvertes! Sauf que la-dite mère, très TRES amie avec le gynéco a demandé à cette dernière un, je cite, « test de virginité ». Les deux jeunes filles se sont vu donc inspecter consciencieusement -déjà, un peu gênant la première fois- puis elles ont vu ce médecin dire à leur mère qu’en effet, elles étaient toujours vierges. Il y a donc un âge pour avoir une vie privée….Je trouve ça incroyable! Médecin de famille, certes, mais les limites ont carrément été dépassées! (Fin de l’histoire) Je pense que tant qu’on ne dépasse pas ces limites-ci, les bidouillages et pseudo détournements de la loi ne sont pas un danger, si c’est toujours dans l’intérêt du patient.
P.-S : votre blog me motive toujours plus dans mon ambition d’être médecin! Merci 🙂
ah le secret medical!!!!!!! j en garde un experience bien amere…..Une dermato m annonce tout de go un mèlanome dèbutant, »ouh là là,il est bien noir madame! » et au cas ou je l ‘oublierai aprèes la biopsie d’urgence qu elle m’impose »vous payez comment? CB ou chèque? »,elle me colle sous le nez la photo agrandie du si bien nommè point noir!!! Une semaine d’angoisse,d’internet(je sais c’est nul!) des larmes et un avenir sombre envisagè…..Et mon mari(père de mon enfant) qui se fait voler dans les plumes par la respectueuse(sadique?) dermato(oh le sacro saint secret mèdical)qui savait dès les premieres 48h via le labo ,que ce n ‘ètait……qu un pinçon!!! AHHHH quand les mèdecins se parent de leur plus belle humanitè!!!! PS:votre blog est gènial et la majoritè des mèdecins que j ai rencontrè le sont aussi!